UN GRAND FRÈRE

On assistait au procès d’un homme violent, jugé pour avoir abusé sexuellement du fils de sa compagne, un enfant  de 6 ans. Les débats auraient pu rester sordides. Mais ils ont aussi raconté une belle histoire. Celle d’un grand frère, 16 ans tout juste, et suffisamment responsable pour sauver son cadet des griffes d’un prédateur. Au point qu’il a reçu les félicitations publiques du Président du Tribunal. Ces mots lui ont fait du bien.

 Kenan* aura bientôt 19 ans, il en avait presque16 au moment des faits. Son « petit frère » comme il le nomme affectueusement en avait 14. Il souffre d’un retard intellectuel important en raison d’un handicap lourd. Il est aujourd’hui pris en charge dans un centre de jeunes travailleurs handicapés.  

DEUX ANS DE MALTRAITANCE 

« On est ici dans ce tribunal pour une affaire qui concerne mon petit frère et moi, pour des violences  physiques, verbales et surtout sexuelles sur mon petit frère. » Dans la salle des pas perdus, le grand frère revient sur les faits, dans une totale lucidité. « On était entre frères et soeur, tout seuls. Notre mère était dans la pièce à côté, mais elle était inexistante. » Par ces mots simples,  Kenan* indique sobrement que sa mère n’a pas été à la hauteur de la situation. Les deux garçons et leur sœur de 9 ans étaient donc régulièrement battus, enfermés dans une pièce dont on retirait la poignée pour qu’ils n’en sortent pas. « Les violences physiques et verbales étaient permanentes, ajoute Kenan*. »  Grace à sa présence d’esprit, l’abus sexuel s’est limité à un épisode unique.  «J’étais dans ma chambre. Mon petit frère était avec lui dans la salle de bain, porte fermée. Il était censé lui couper les cheveux. Mais quand mon petit frère est sorti, il est tombé en lambeaux, il m’a tout raconté. Notre beau père l’avait contraint à une fellation, il s’est masturbé devant lui qui était sans défense. Alors moi, j’ai pris les choses en main. » 

LA FUITE

Kenan* fait croire qu’ils partent jouer au foot tous les 3, et ils se réfugient chez leur père. « J’ai toujours eu un rôle protecteur avec eux. Mon petit frère est vulnérable, donc c’est un devoir pour moi. J’ai une grande sœur de 24 ans mais elle vivait dans son appartement. Et ma mère savait, mais elle faisait comme si elle ne voyait rien. Elle voulait rester en couple avec mon beau-père. Il était chez nous depuis deux ans et demi. Elle dépensait l’argent du foyer  pour lui acheter de l’alcool et des cigarettes. C’était la terreur toute la journée. Personne ne voyait rien. Quand on parlait  à notre mère, elle s’en foutait.» Après cet épisode éprouvant, les trois enfants ont été immédiatement placés dans un foyer. « Ça se passe plutôt pas mal. Mon petit frère et ma petite sœur étant sauvés, c’est le principal. Il commence à travailler, elle commence à trouver ses marques. Moi, je suis en apprentissage. Je poursuis les études de mécanique dont j’ai toujours rêvé. J’ai tourné  la page. Depuis qu’on s’est sauvé, une nouvelle vie a commencé. »

LA FIN D’UN CAUCHEMAR

« Le président m’a félicité, c’est vrai. Je me dis que  mes efforts n’ont pas été vains. J’ai l’impression d’être récompensé. » Le  beau-père,  qu’on vient de juger était incarcéré à Lyon. Mais à la faveur  d’une autorisation de sortie à pris la fuite.  Il n’a donc pas assisté à son procès. Cet homme, aujourd’hui âgé de 44 ans, avait déjà choisi de ne pas se présenter à une précédente audience, alors qu’il était encore libre. Ce qui lui a permis de faire opposition à une première condamnation. Mais à l’issue d’un second procès, le Tribunal Correctionnel de Reims vient de le condamner à une peine de 4 ans d’emprisonnement. Il est sous mandat d’arrêt, activement recherché. « Il n’a jamais travaillé, commente Kenan. Il a 44 ans, ma mère en a 43. Je ne lui parle plus. J’ai essayé mais je vois que ça ne sert à rien. Elle nous traite de menteurs, mon petit frère et moi. Et quand on a été placé, elle a refait un enfant avec cet homme là. Du coup j’ai une autre petite sœur qui vit chez ma mère, à Reims aux Châtillons. »

LA RÉSILIENCE, PEUT-ÊTRE…

À l’audience, le témoignage des éducateurs du foyer où vivent les enfants a laissé deviner une prise en charge adaptée, bienveillante, efficace. Cette fratrie si malmenée commence à retrouver ses marques. Mais les souvenirs ne se dissipent pas. « On ne peut pas oublier. Mon petit frère devient nerveux, il pleure dès qu’on lui parle de ce beau-père. Je pense que cet homme est  le bon exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Je voudrais qu’il assume ce qu’il a fait. J’aimerais avoir des enfants plus tard, et je sais que le principal c’est de donner tout ce qu’on peut. Moi, je leur donnerai tout ce que je n’ai pas eu. De l’amour. » Le regard de Kenan est aussi apaisant que sa voix, aussi doux que la blondeur de ses cheveux bouclés. Et il  explique son altruisme en quelques mots très simples :  «Je  sais me mettre à la place de la victime. » Dans les jours qui viennent, Cécile Regnier, l’avocate des trois enfants, se rendra dans le foyer où ils vivent pour leur donner les détails du jugement qui condamne leur beau-père afin de les protéger. Elle leur dira que la justice les a crus.  

 *Le prénom a été modifié. 

 

Monique Derrien

Reporter puis grand reporter à Radio France de 1987 à 2016. Prix du Grand Reportage de Radio France. Chronique judiciaire régulière et assidue des petits et grands procés : Chanal, Heaulme, Fourniret. Attention soutenue sur les audiences et faits de société et sur la politique, un peu. Parce qu'ils disent presque tout du monde qui nous entoure. Intérêt marqué pour la culture, la gastronomie et le champagne. Celui qui se boit et celui qui a su si bien se vendre jusqu'ici.

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