Les migrants du Parc Saint John Perse à Reims ne dorment plus sous des tentes. Le grand froid rendait la situation plus intolérable que jamais. Le campement a été démonté dimanche dernier. Les bénévoles du Collectif 51 ont su frapper à la bonne porte pour convaincre : un chef d’entreprise leur loue les bâtiments inoccupés dont il dispose, pour l’euro symbolique. Trois familles avec enfants seront logées dans une maison vouée à la démolition. Une quinzaine d’hommes se sont par ailleurs installés dans des locaux jusqu’ici occupés par une association. Ce dispositif laisse quelques semaines, peut être quelques mois de répit aux réfugiés. On le doit à l’intervention d’un homme qui veut rester dans l’ombre. Rencontre claire obscure, sous couvert d’anonymat.
Le rendez vous est donné dans un café du centre de la ville où il paraît être chez lui . « Quand je suis arrivé à 16 ans comme ouvrier du bâtiment, je passais devant ce genre d’établissement sans pouvoir y entrer, et je me suis promis que ça changerait. » La réussite de l’homme d’affaire va bien au delà de ce petit luxe du café crème qu’on peut s’offrir sans compter. On le devine, parce qu’il le suggère. Il est collectionneur, passionné par l’art contemporain puisqu’il aime le beau. Il fait dans la compétition automobile et il entreprend beaucoup. Normal. Il est ce qu’on appelle un surefficient qui tourne à quatre ou cinq heures de sommeil, pas plus. Mais se lever uniquement pour le business ne lui suffit pas. Le vrai moteur est dans l’amour de l’autre et l’empathie, il le dit sans détour. Xavier Emmanuelli, l’inventeur du SAMU social, fait partie de ses références, comme Bernart Devert fondateur d’Habitat et Humanisme, ou Pierre Rabhi et son Mouvement Colibri.
L’ARGENT N’EST QU’UN MOYEN PARMI D’AUTRES
Parce qu’il suffirait que chacun agisse à sa mesure, un peu comme le tout petit colibri, pour embellir le monde. Il revendique ses origines, les Ardennes où les hommes de valeur seraient plus nombreux qu’ailleurs. Justifiant ainsi sa propension à entrer dans une colère noire quand il apprend que dans la belle ville de Reims on a pu balancer un seau d’eau sur la tête d’un SDF pour le chasser. « Mes grands parents ont été évacués et accueillis en Vendée pendant la guerre. Ils étaient des migrants comme ceux qui arrivent ici pour fuir l’enfer. Ils ont été aidés par des étrangers. Ceux qui sont à la rue sont des ados ou des retraités. Ils ont tous de bonnes raisons d’y être. La maladie, le travail, un décès… L’homme différent ne me dérange pas, il m’enrichit. J’essaie de rendre ce que Dieu m’a donné. L’argent est un moyen. Je mets à disposition des maisons ou des logements à l’euro symbolique. Je fais des baux sur deux mois, trois mois. C’est facile pour moi : j’ai des biens qui sont libres et que je ne veux pas mettre sur le marché traditionnel. J’ai toujours fait ça. Dans la maison que je viens de louer au Collectif 51 je voulais qu’il y ait des enfants. Je donne des idées…aux associations d’organiser. Quand ça va mal je suis là, quand ça va bien je disparais ». Il paie régulièrement les factures des nuits d’hôtel. Et c’est lui qui l’an passé a hébergé des SDF avec leurs chiens dans 200 m2 de bureaux inoccupés. C’est encore lui qui parraine des enfants en difficulté, qui prend des repris de justice sous son aile. « Je ne recrute pas, je crée des emplois pour les gens que je rencontre. »
POURQUOI LES AUTRES NE LE FONT-ILS PAS ?
Il dit avoir mis l’humain au cœur de son entreprise en associant ses collaborateurs à cette démarche. Et ça fonctionne parce que cette forme de management suscite leur reconnaissance. Incités à venir servir des repas aux sans abris, ils ont intégré le principe de la main tendue. Et ils sont les premiers, du coup, à impliquer les partenaires de l’entreprise dans un cercle vertueux : plutôt que de négocier des remises au moment de signer un contrat commercial avec les fournisseurs, ils les incitent fortement faire une promesse de don pour une association caritative. La ligne de conduite serait donc tracée, facile à suivre. Il refuse de s’afficher, même s’il sait qu’on le reconnaîtra. Mais c’est pour éviter le risque de devenir un « moi je ». Pas question non plus de s’engager dans l’action politique. Il veut agir à son niveau. » Je fais ma politique, mon film, mes actions. Les « moi je » on les retrouve partout, même dans le milieu associatif. Certains sont bénévoles pour avoir un titre. Mais heureusement, il y a des gens exceptionnels et ils sont nombreux à Reims. Je ne suis pas un ovni. Je fédère les personnes qui aident autour de moi. Je fais ma part, mais j’y passe beaucoup moins de temps que d’autres. J’ai fait un burn out il y a quelques années, et c’est certainement une des raisons pour lesquelles j’aide les SDF. Je ne sais pas comment je m’en serais sorti sans mes amis. » Voilà donc un élément de réponse à la question qui revient forcément à plusieurs reprises au cours de l’entretien : « pourquoi faites vous tout ça ? » L’homme à vif qui refuse de se montrer répond à chaque fois par une pirouette : « pourquoi les autres ne le font-ils pas ? »