THÉATRES DE GUERRES ET DE SOLITUDES

En deux décennies de photo journalisme, Jean Christophe Hanché  nous a habitué  à des images qui racontent les souffrances  humaines bien mieux que les mots. Après les réfugiés du Libéria, du Sud Liban ou de la Palestine, il s’est intéressé aux sans papiers, aux SDF, aux détenus  de nos prisons pour dénoncer finalement toutes les formes d’exclusion. L’installation « Seul(s) » qu’il  a mise en place au Cellier de Reims nous fait littéralement ressentir la destruction guerrière, pour ceux qui la vivent comme pour ceux qui l’observent. Jean Christophe Hanché a été de ceux là. Le travail qu’il donne a voir a été une psychothérapie pour l’artiste. Et quand on le découvre,  c’est une prise de conscience obligée.  

« Jusqu’ici j’étais en retrait. Là il n’y a pas d’autre sujet que moi et ma relation à ces choses là. C’est assez nombriliste. J’ai souvent été interrogé sur ma capacité a vivre  ces conflits. Mais j’éludais. » Pourtant la vie de Jean Christophe Hanché était envahie de cauchemars la nuit, de crises de paniques en plein jour. Il tenait sur place mais les retours étaient difficiles. Il a cru qu’il n’était pas fait pour ce métier, qu’il était le seul à en souffrir. C’était au début des années 2000, après la Sierra Leone et le Libéria. « Je continuais quand même parce que j’avais envie de me faire ma propre idée. » La parole des plus grands photo reporters s’est  heureusement libérées depuis. On a sait maintenant qu’ils sont capables de se dissocier pour travailler, mais pas assez pour en sortir indemnes. Jean Christophe Hanché a compris qu’il fallait partager pour en guérir. Au delà de la prise en charge habituelle du stress dont il souffrait il a décidé d’en faire une œuvre. Cinq ans de réflexion, 2 ans pour l’écriture et la scénographie proprement dite. « Je me suis senti bien à partir du moment où j’ai commencé à travailler sur ce projet. Je voulais écrire sans tricher. Mais c’est dur  de ne pas tricher sur soi. » L’exposition est un succès. Les retours des nombreux visiteurs sont éloquents. Ils se disent très émus, touchés par cet univers qu’ils ne connaissaient pas  malgré toutes les images de guerre qu’on leur donne à voir. « Ils ont ressenti les choses comme ils auraient pu les ressentir s’ils avaient été sur place, à ma place. Et ça me touche beaucoup. »

 

Dans les dédales du Cellier de Reims, la  barrière de la connaissance n’existe pas. Il y est question de la guerre, ou plutôt de toutes les guerres dans une dimension humaine avant tout. « Si j’avais un regret, c’est de ne pas avoir insisté sur tout ce qui fait qu’on en arrive là, mais il aurait fallu compléter par des notions géopolitiques très complexes. Quand j’ai pu analyser les choses après, j’ai compris que les décideurs , les responsables sont toujours très loin, très protègés . » Ce qu’on a pu dire  des états majors pendant la guerre de 14 est donc toujours vrai aujourd’hui,  en Somalie ou au Yemen. Ceux qui sont à l’origine de tout s’en sortent et la guerre est bien une absurdité totale. « Je le pensais et je l’ai entendu crier sur place : le monde est fou, le monde est fou. » Une folie dont on a le sentiment qu’on n’en sortira jamais. « Depuis le vernissage (le 8 novembre dernier NDLR) j’ai l’impression d’avoir passé un cap. Je ne sais pas si j’y retournerai , mais en même temps l’envie est toujours là. Si on me le demandait, oui, j’y retournerais. »

SEUL(S) AU CELLIER DE REIMS JUSQU’AU 24 FÉVRIER

Monique Derrien

Reporter puis grand reporter à Radio France de 1987 à 2016. Prix du Grand Reportage de Radio France. Chronique judiciaire régulière et assidue des petits et grands procés : Chanal, Heaulme, Fourniret. Attention soutenue sur les audiences et faits de société et sur la politique, un peu. Parce qu'ils disent presque tout du monde qui nous entoure. Intérêt marqué pour la culture, la gastronomie et le champagne. Celui qui se boit et celui qui a su si bien se vendre jusqu'ici.

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