En Août 2016 deux infirmières de la Médecine du Travail de Reims se sont donné la mort à quelques jours d’intervalle. Sans lien avec les conditions de travail pour la première. Mais pour le second suicide, l’enquête a conclu que le geste desespéré de cette femme pouvait être en partie lié au harcèlement moral d’un medecin. Le procureur a requis contre lui une peine de 9 mois d’emprisonnement avec sursis devant le Tribunal Correctionnel. La direction, sévèrement fustigée à l’audience pour son incurie, n’est pas inquiétée pour l’instant.
Les faits remontent à 6 ans et plus. Ils auraient pu ne jamais être jugés si l’Inspecteur du Travail Anthony Smith n’avait pas alerté le Procureur de la République sur le contexte du suicide de Sandrine S. Pas d’enquête, aucune mesure contre son harceleur licencié dans la foulé à des conditions particulièrement avantageuses, puisqu’il était membre du CE.
UNE GOUVERNANCE DÉFAILLANTE
Le drame n’a pas été déclaré comme accident du travail par la direction du SMIRR ( Service Médical Interprofessionnel de la Région de Reims renommé depuis Reims Santé au Travail, RST) parce qu’il avait eu lieu au domicile de l’infirmière de 38 ans. Aucune plainte n’a été déposée par sa famille. Le procureur l’a rappelé : les filles de Sandrine R. n’ont pas souhaité se porter parties civiles quand il les a contactées. « Elles ont besoin de tourner la page. » Sans l’enquête, finalement bouclée par le SRPJ de Reims après de longues années, le management déplorable de cette structure dédiée à la santé et au bien être de 10 000 salariés rémois n’aurait sans doute jamais été révélé. Ce n’était pas l’objet de cette longue audience au Tribunal Correctionnel de Reims. Mais au moins, les défaillances de la direction ont été fermement dénoncées. Car les difficultés de Sandrine R. avec le Docteur Dominique Brodin ont commençé des années avant sont suicide. Tout le monde les connaissait, personne n’a réagi. L’infirmière a sollicité le CHSCT, mais rien n’a bougé.
« IL EST BIEN OU PAS ? »
C’était la question de l’infirmière zélée en arrivant le matin, parce que l’humeur du médecin allait conditionner sa journée. Il organisait le travail de manière à ce qu’ils se retrouvent en tête à tête. Elle était sous pression. Elle choisissait des vêtements austères pour ne pas avoir l’air de vouloir le séduire. Elle repoussait ses avances physiques et verbales. Elle faisait des cauchemars de viols. A la barre le prévenu, aujourd’hui âgé de 70 ans, reconnaît effectivement qu’elle l’attirait…Etait-ce du harcèlement sexuel ? Il penche plutôt pour de la drague. Pourtant quand on lui rappelle un mail à connotation très sexuelle qu’il a pu lui adresser, il reconnaît que c’était « tout à fait déplacé, même scandaleux .» Pour « balayer le harcèlement moral, il nie très tranquillement le rapport hiérarchique qui existait entre lui et son infirmière…malgré les messages professionnels parfois violents qu’il lui adressait le soir et pendant le week-end, et bien qu’il soit son tuteur sur le mémoire qu’elle préparait.
UN CLIMAT DÉLÉTÈRE
Dominique Brodin avait l’appui de la DRH, qui tenait en réalité le rôle de la directrice. Et rien ne changeait. Elle « se prenait pour la directrice », mais « c’était courage fuyons ! », ponctue le président du tribunal, ajoutant qu’ « elle ne voulait pas régler les choses » et que « le président de RST était surnommé le tyran ». Sans parler du comportement d’une collègue, confidente mais « fouteuse de merde » assène encore Président du Tribunal, en s’excusant de ne pas trouver d’autres mots. Les témoins interrogés par le SRPJ dénoncent tous l’omerta qui plombait le fonctionnement des services. Le Conseil d’Administration et le Comité d’Entreprise se sont évidemment réunis après les suicides des deux infirmières. On a fait sortir la DRH et le président, et « tout le monde s’est lâché », relate encore le Président. Lire aussi : UN MÉDECIN JUGE POUR HARCÈLEMENT MORAL ET SEXUEL
LE MONDE A L’ENVERS
Sandrine R.était une salariée particulièrement zélée. Après un burn out inévitable de plusieurs mois elle a été réaffectée… dans le service où exerçait Dominique Brodin, sur l’antenne de Tinqueux. Le climat y était délétère au point que le nombre d’arrêts de travail y explosait toutes les statistiques. Sandrine R. se sentait si mal qu’elle allait déjeuner dans sa voiture à midi. Elle était terriblement seule. « On ne peut être que surpris par l’attentisme de la direction d’une structure spécialisée dans la souffrance au travail. RST avait connaissance de ces problèmes, dit le Procureur. C’est le monde à l’envers.» Dominique Brodin n’exerce plus. Il paraît en forme quand il s’approche de la barre. Il a été médecin généraliste, mais ses troubles psychiatriques, une bipolarité sévère, lui ont finalement interdit l’exercice libéral.Ce qui ne l’a pas empêché d’accéder au statut de médecin du travail, après avoir suivi la formation requise.
LA BIPOLARITÉ PEUT-ELLE TOUT EXCUSER ?
Pour suivre son procès, il aura quelques difficultés à rester debout. On lui propose une chaise, d’autant que les débats vont durer près de 4 heures. Il s’implique sans polémique, il donne le change avec pertinence, sur un ton souvent détaché. « J’ai été très déstabilisé par la mort de Sandrine R. Pour moi c’était une bonne collègue. » Mais la carapace se fissure quand le Président évoque son internement sur la demande de son épouse et de sa fille, à l’occasion d’un accès maniaque. Il a tout fait pour ressortir après quelques jours. Vous comprenez quand même que c’était pour votre bien, insiste le Président ? Au moment d’évoquer la bipolarité sévère dont il souffre, les larmes déforment ses mots. Il décrit une perception erronée de la réalité qui vous fait agir sans retenue, avant qu’on ne s’écroule dans une dépression. A quoi s’ajouterait, pour Dominique Brodin, un profil de pervers narcissique selon le docteur Colin qui l’a expertisé.
RESPONSABLE, JUSQU’OÙ ?
Personne, en tous cas, n’est venu le soutenir à l’audience. « Vous n’avez pas l’impression d’être seul ici ? » La question reste sans réponse et une très grande tristesse envahit le prétoire. Le Procureur n’en estime pas moins que le comportement de Dominique Brodin doit permettre de le condamner pour des faits avérés de harcèlement sexuel et moral. Sa responsabilité est atténuée, dit encore Pedro Teixeira, mais elle existe. Il requiert 9 mois d’emprisonnement avec sursis. L’avocat de la défense s’étonne pour sa part que l’expertise psychiatrique ait pu conclure à la responsabilité de son client alors qu’il était submergé par un accès maniaque. Il insiste à sont tour sur la défaillance de toute l’organisation de RST alors que d’innombrables signaux auraient dû alerter les dirigeants, DRH et président, que Sébastien Buzy ne craint pas d’appeler « la clique ». Il demande la relaxe. Le jugement du Tribunal Correctionnel de Reims sera rendu le 7 Octobre
Le 7 Octobre Dominique Brodin a été condamné à 6 mois de prison assortis du sursis, et une interdiction d’exercer pendant 5 ans