CORONAVIRUS : 10 000 DÉTENUS EN MOINS DANS LES PRISONS FRANÇAISES

Les derniers chiffres officiels font état d’une diminution de 10 000 détenus en France sur 72 400. Ce désengorgement des prisons est dû pour moitié à la baisse de l’activité judiciaire, mais aussi aux mises en liberté anticipées ordonnées par la Garde des Sceaux Nicole Belloubet, ainsi qu’à la promotion des alternatives à la détentions. Ces mesures d’urgence veulent éviter une sur contamination des détenus par le Coronavirus. Feront-elles évoluer la politique carcérale française sur le long terme ?

Le Covid19 a fait tomber le taux d’occupation moyen des établissements pénitentiaires de 119% à 103%…mais il se reste à 116% dans les maisons d’arrêt (courtes peines et détentions provisoires). La Chancellerie a voulu limiter les risques de contaminations dans des prisons surpeuplées. Les mises en liberté concernent essentiellement les détenus dont la peine devait expirer dans moins de deux mois, à l’exclusion des condamnations pour terrorisme et violences conjugales. A quoi s’est ajouté une promotion des alternatives à la détention provisoire. Pour empêcher la propagation du virus, les parloirs ont été supprimés le 17 Mars, ce qui a déclenché des violences et des dégradations. Elles se sont apaisées quand la chancellerie a octroyé la télévision et quatre heures de téléphone hebdomadaires gratuites à tous les détenus. Et bien que tardive, l’attribution de masques aurait apaisé l’inquiétude des surveillants selon l’administration pénitentiaire.

UNE LUMIÈRE CRUE SUR LA SITUATION DES PRISONS

Ce sont les mots de la Contrôleure générale des lieux de privations de liberté. La pandémie inflige, selon elle, une triple peine aux détenus : Ils sont privés de liberté, de parloirs et de toutes leurs activités habituelles. Seule la promenade d’une heure a été maintenue sur toute une journée. La crise sanitaire actuelle éclaire en effet une réalité difficile. « La déflation carcérale aura permis de ne plus confiner les détenus à 3 dans des espaces de 9 mètres carrés, admet Adeline Hazan, mais il faudrait arriver à ce que la cellule individuelle (prévue par la loi depuis 1875) devienne la règle, tout comme la douche individuelle. Ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui puisque la plupart des détenus n’ont droit qu’à 3 douches collectives par semaine dans des conditions sanitaires plus que douteuses. Qu’elle soit entendue par la commission des lois de l’Assemblée Nationale ou par le Club des Juristes l’ex magistrate n’a de cesse de dire le droit. Elle rappelle que la France a été condamnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour ses prisons surpeuplées. “Les récentes mesures prouvent qu’il est possible de libérer des détenus martèle Adeline Hazan, faisons le. Il faut aller plus loin en faisant sortir ceux qui sont à 6 mois de leur fin de peine.” Tant il est vrai que la loi de programmation pour la justice, entrée en application le 24 Mars dernier, demande aux magistrats de prononcer les peines égales ou inférieures à 6 mois en milieu ouvert, en alternative à l’incarcération. Mais elle ne s’applique que très rarement, souvent par manque de moyens.

LA CULTURE DU CHÂTIMENT

Nous avocats on se tue à dire que la prison n’est pas la solution.” Nicolas Brazy exerce à Reims. Comme la plupart de ses confrères il plaide régulièrement l’alternative à la détention…en vain le plus souvent. “Badinter le déplorait déjà : en France la sanction n’est jamais envisagée en dehors de la prison. Le châtiment, autrement dit, passe nécessairement par les geôles. Si les faits jugés sont de nature à faire hésiter les magistrats entre l’hôpital psychiatrique ou la prison, c’est toujours la prison qu’on choisit. Et si un détenu souffre de troubles psychiatriques quand il entre en prison, il est encore plus atteint quand il en sort.” Pour l’avocat rémois, les mises en liberté récentes ne marqueront absolument pas un tournant dans l’histoire de la politique carcérale car elles ne signifient pas, dans la logique de la Chancellerie, que les prisonniers qui sortent aujourd’hui sont moins dangereux qu’il y a quelques mois, ou qu’ils ont bien assimilé le sens de leur peine. “Ces mises en liberté décidées à la hâte, dit NiIcolas Brazy, sont surtout la preuve que l’Etat n’est pas en mesure d’assurer la sécurité sanitaire des condamnés. Il veut se protéger des plaintes auxquelles il s’exposerait si le virus décimait la population carcérale.”

LA PANDÉMIE FERA-T-ELLE BOUGER LES LIGNES ?

“Ce qui est malheureux c’est que c’est une pandémie qui réussit à faire ce que nous réclamons depuis presque 50 ans” déplore Jean-Laurent Bracq. Ce dirigeant d’entreprise à la retraite est un membre actif de l’Association Nationale des Visiteurs de Prison. L’ANVP, qui s’est inquiétée dans un récent communiqué de presse “du confinement dans le confinement” pour les détenus . L’association dénonce elle aussi leur « entassement » plus anxiogène que jamais dans ce contexte de pandémie puisqu’ils sont privés de tout contact avec leurs familles, leurs avocats, leurs visiteurs, privés aussi de toute activité. Le désengorgement actuel des prisons, salué par Jean Laurent Bracq, est aussi l’occasion de rappeler que pour la majorité de la population carcérale, l’enfermement ne résout rien. Et il fustige cette pratique qui consiste à créer 10 000 places supplémentaires… pour faire 10 à 15 000 prisonniers de plus sans rien résoudre. “On sait très bien que certaines personnes doivent être mises de côté, mais les crimes ne représentent que 0,1% des 695 000 condamnations prononcées en 2019. Les fumeurs de cannabis, les auteurs de délits routiers n’ont rien à faire en cellule.Leur passage en prison est un véritable marquage au fer rouge. On les prive de leur travail, on leur interdit toute vie de famille, on les met au ban de la société. A la fin de leur peine, ils n’arrivent pas à s’en sortir.” D’autres moyens existent , les travaux d’intérêt général, le bracelet électronique. Mais les français n’assimilent pas cette peine alternative à une sanction.

REINVENTER LA PRISON

“Il faudrait expliquer que c’en est une dit aussi Adeline Hazan, pour faire évoluer la culture de la détention.” Les Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation doivent assurer le suivi des personnes sous main de justice en milieu fermé et ouvert. Mais “les moyens proposés aux magistrats pour la mise en œuvre d’une sanction sans barreaux sont insuffisants” ajoute la Contrôleure des lieux de privation de liberté, ce qui renforce les réticences des Juges d’Application des peines. Dans ce contexte « les JAP ont la hantise de faire sortir le récidiviste qui va faire la une de la presse » dit encore Jean Laurent Bracq. Car la pression sociale est effectivement très pesante. Nicole Belloubet a d’ailleurs affirmé avec force que le dèsengorgement des prisons était une mesure exceptionnelle. Dans la foulée de ces mesures, pourtant, le Syndicat National des Dirigeants Pénitentiaires attend un changement. Le message vibrant qu’il vient d’adresser au Président de la République réclame des cellules individuelles pour tous les détenus, puisqu’on sait désormais que        cet objectif n’est plus inatteignable.

 

 

Monique Derrien

Reporter puis grand reporter à Radio France de 1987 à 2016. Prix du Grand Reportage de Radio France. Chronique judiciaire régulière et assidue des petits et grands procés : Chanal, Heaulme, Fourniret. Attention soutenue sur les audiences et faits de société et sur la politique, un peu. Parce qu'ils disent presque tout du monde qui nous entoure. Intérêt marqué pour la culture, la gastronomie et le champagne. Celui qui se boit et celui qui a su si bien se vendre jusqu'ici.

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