- L’efficacité des peines est un des grands chantiers de la réforme de la justice, très attendue dans les mois qui viennent. Le Procureur de Châlons-en-Champagne pourrait bien y apporter sa pierre. Aux côtés de ses confrères de la Conférence Nationale des Procureurs de la République (la CNPR), Eric Virbel s’est fait le relais, à l’occasion de la récente audience solennelle, de propositions qui boulverseraient le choix et l’application des peines. Les magistrats de la CNPR souhaitent en effet que les condamnations prononcées en audience soient réellement appliquées tout en favorisant davantage la réinsertion des détenus, notemment grâce à des peines extrêmement courtes. Révolution dans les Palais ?
« Actuellement pour toute condamnation inférieure à 2 ans d’emprisonnement, ou un an en cas de récidive, la peine prononcée n’est pas exécutée. A moins que l’exécution immédiate ne soit expressément prononcée par le Tribunal, la personne est convoquée devant le Juge d’Application des Peines (le JAP), premier délai de convocation, et le juge dispose ensuite de 6 mois pour la mise en place d’un aménagement de la peine : travail d’intérêt général, amende, bracelet électronique, semi liberté… avec des délais là encore pendant lesquels le parquet ne peut pas agir puisqu’il doit attendre la décision du JAP . C’est ce qui explique que le chiffre de 80 000 peines non exécutées sur 5 ans ait pu être avancé. Autrement dit, poursuit Eric Virbel, quand le juge annonce une peine de 6 mois de détention au prévenu il pourrait ajouter qu’il ne les fera sans doute pas.» Les procureurs de la CNPR, qui représente les deux tiers des Parquets de France, proposent donc de casser ce dispositif parce qu’il n’est plus lisible.
L’INDIVIDUALISATION DE LA PEINE AU CŒUR DU DISPOSITIF
Ce grand chamboulement consisterait à faire intervenir le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (le SPIP) avant le procès et non l’inverse, car l’objectif ne serait pas de renoncer à l’individualisation de la peine, mais de l’étudier en amont du jugement. Entre la sortie de la garde à vue et l’audience il faut compter six mois en moyenne. Ce temps judicieusement utilisé permettrait aux juges qui tranchent sur le fond de choisir la bonne peine, celle qu’il faudra vraiment purger, en utilisant ce délai pour travailler sur une condamnation adaptée, utile. La Conférence des Procureurs avance par ailleurs les conclusions concordantes de toutes les études qui ont été menées sur l’exécution des peines : le moment le plus utile à la mise en oeuvre de la réinsertion se situe dès la sortie du Commissariat ou de la Gendarmerie. Ces 6 mois seraient mis à profit pour rencontrer les travailleurs sociaux, s’interroger sur la situation de la personne avant le jugement plutôt qu’après. Le pouvoir du juge et sa responsabilisation en seraient renforcés puisque les peines qu’il prononcerait seraient vraiment purgées.
EVITER L´INUTILE SURPOPULATION CARCÉRALE
En redonnant toute sa place au juge, selon le CNPR, on diminuerait à terme le nombre de peines de prisons prononcées. Comment ? «Aujourd’hui, répond Eric Virbel, certaines peines de prisons sont prononcées parce qu’on sait qu’elles ne seront pas éxécutées. Mais si la personne ne répond pas à la convocation du SPIP ou du JAP aprés l’audience, alors le parquet peut ramener la peine à exécution sans qu’on se soit jamais posé la question de la personnalité du condamné. Ce qui peut être socialement dévastateur. Certains partent en prison pour des peines de 2 mois qui ont été prononcées avec l’idée qu’elles ne seront jamais exécutées. Des études menées par des universitaires, pas seulement en France, ont montré que moins le juge dispose d’éléments de personnalité, plus il inflige une peine sévère. « Si on a les éléments de personnalité on s’adapte, sinon on met une peine bête et méchante. Six mois, un an, deux ans… ajoute Eric Virbel. Une personnalisation forte replacerait le juge au cœur du dispositif, là où il n’est plus aujourd’hui. Cela pourrait s’accompagner aussi d’une suppression pure et simple des peines de un à six mois . » Car les études qui ont été faites montrent aussi que les très courtes peines d’emprisonnement, ont une forte efficacité, mais de 15 jours à 4 mois, elles sont destructrices. La peine de quelques jours agirait ainsi comme un éléctrochoc plus efficace qu’un travail d’intérêt général. C’est la raison pour laquelle bon nombre de procureurs préconisent purement et simplement d’interdire ces peines de plusieurs semaines, parce qu’elles sont contre productives. Ce qui va dans le sens de beaucoup d’observateurs de l’univers carcéral. Alors, pourquoi pas ? La Conférence des Procureurs est devenu un organe consultatif très écouté par le ministère de la justice, l’Assemblée ou le Sénat .
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