PRISONS : DES PHOTOS D’ART QUI DÉNONCENT

 

“Les enfermés” du photographe Jean Christophe Hanché sont exposés au Moulin de Culture à Reims. Le travail de l’artiste rémois est soutenu par Dominique Simonot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté. Le vernissage de l’exposition* a été l’occasion pour l’ex journaliste d’exprimer sa révolte contre les conditions de vie de certains détenus. Témoignages bouleversants, en paroles ou en images.

“Je t’en veux un peu Jean Christophe, parce que tu n’as pas montré les punaises de lit.” La boutade de Dominique Simonot est en réalité une façon de saluer le travail du photographe. Parce que ses images sont belles avant tout. Elles révèlent la souffrance avec force, mais sans provocation. Jean Christophe Hanché, fut longtemps reporter de guerre. Il est aujourd’hui contrôleur des lieux de privation de liberté : prisons, centre de rétention et hôpitaux psychiatrique. Comme Dominique Simonot, il accède ainsi à ce qu’on ne montre jamais. “Ce qui n’est pas un hasard” insiste le photographe. Tous deux ont à cœur de révéler le quotidien des enfermés, avec l’espoir de faire changer les choses.

UN ACTE MILITANT

“On n’a pas forcément l’idée de venir voir une exposition sur les lieux de privation de liberté, dit Dominique Simonot. Les gens vont se dire c’est trop lugubre, mais c’est important de venir.” Certaines photos sont en réalité apaisantes. Elles sont assez intimes même si on voit rarement les visages. “Et puis surtout, c’est la réalité, poursuit Dominique Simonot. Je croyais en savoir pas mal, en tant que journaliste, mais non. Là c’est le reportage magique. Bonjour, ouvrez-moi cette cellule. Et on tombe sur 3 hommes enfermés 23 heures sur 24 dans 4,3 mètres carrés si on enlève les lits, le coin toilette, la table et les chaises. Qu’est ce qu’on est devenu, nous tous, pour supporter ça ? J’en veux beaucoup aux juges de ne pas aller en prison. À de très rares exceptions près, ils ne connaissent pas les conséquences de leurs décisions. S’ils les voyaient ils ralentiraient un peu la cadence de l’enfermement qui repart de plus belle aujourd’hui.”

Jean Christophe Hanché et Dominique Simonot

L’ENFERMEMENT ET RIEN D’AUTRE

Ce n’est pas un secret. Les alternatives à la détention sont trop peu utilisées en France. On manque de moyen pour le suivi de ceux qu’on condamne. La crise sanitaire avait contraint Nicole Belloubet, alors Garde des Sceaux, à faire sortir certains détenus. Les statistiques n’ont pas révélé de flambée des récidives. On aurait pu en tirer des enseignements. Cela n’a pas été le cas. On approche de nouveau le chiffre de 70 000 détenus. Et la surpopulation carcérale atteint parfois 200%. “Le Garde des Sceaux nous parle de construire des prisons. L’idée peut paraître logique. Mais plus on construit, plus on enferme.

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Même le directeur de la pénitentiaire réclame une régulation carcérale” dit Dominique Simonot. Elle compte beaucoup sur le droit pour faire changer les choses. La jurisprudence, la Cour Européenne qui condamne la France pour le traitement qu’elle réserve aux détenus. Et les juges, aussi, qui vont avoir à statuer sur les conditions de détention indignes. L’espoir est là.

L’ESPOIR D’UN CHANGEMENT

Déjà la Cour de Cassation a statué sur les rapports du CGLPL. Ils pourraient servir de preuve s’ils sont assez récents, et accompagnés d’une description présentée par le détenu. Des fiches sur les prisons vont être préparées par le CGLPL à l’attention des magistrats, des détenus et des avocats. Ils pourront les brandir quand ils plaident. “Mon client dort avec les cafards, il se bouche le nez et les oreilles la nuit pour les empêcher d’y rentrer.” Oui j’y crois beaucoup, vraiment. Sinon je me tirerai une balle. A force de marteler les choses…”

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Dominique Simonot s’attend à des mois difficiles jusqu’aux élections présidentielles. La question de la sécurité s’est invitée dans la campagne depuis longtemps. L’enfermement y est présenté comme une panacée populiste, sans aucune réflexion sur le sens de la peine. “C’est démago. C’est un calcul à très court terme, calcul de vengeance, de punition. Je peux le comprendre mais il faut se poser la question. Que le type sorte fou de rage après n’avoir rien fait pendant 6 mois ou un an, qu’est ce que ca rapporte à la société ? A quoi rime l’enfermement pour les courtes peines ?”

DES LIEUX DE DÉCHÉANCE

En visitant des longues peines, dans des unités par ailleurs correctes, la CGLPL a découvert 17 détenus très âgés ou malades, totalement à l’abandon. Ces personnes nécessiteraient des soins quotidiens, comme dans un EPAHD. Elles ne peuvent pas aller seules aux toilettes. Une infirmière passe deux fois par semaine seulement. Donc elles baignent dans leurs excréments. “Qu’est-ce qu’on est devenu ? s’interroge Dominique Simonot. On peut bien s’indigner des prisons russes, ou turques !” L’exposition de Jean Christophe Hanché est donc bien une invitation citoyenne.

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Elle est une découverte artistique qui mérite  vraiment le détour. La visite du site du CGLPL donne accès, elle aussi à tout ce que le photographe et l’ex journaliste ont pu découvrir au cours de leurs inspection . “C’est une manière de mettre du poids dans la balance, insiste Jean Christophe Hanché.” Lui qui est le seul autorisé aujourd’hui à restituer l’univers carcéral par l’image.

*Jusqu’au 11 Décembre au Moulin de Culture. 8, Place Jean Moulin à Reims. L’exposition se double d’un livre. “Les Enfermés“ editionslightmotiv.com

Monique Derrien

Reporter puis grand reporter à Radio France de 1987 à 2016. Prix du Grand Reportage de Radio France. Chronique judiciaire régulière et assidue des petits et grands procés : Chanal, Heaulme, Fourniret. Attention soutenue sur les audiences et faits de société et sur la politique, un peu. Parce qu'ils disent presque tout du monde qui nous entoure. Intérêt marqué pour la culture, la gastronomie et le champagne. Celui qui se boit et celui qui a su si bien se vendre jusqu'ici.

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