On le devine sans oser le croire vraiment. Le mémoire en sociologie que Jean-Christophe Hanché vient de soutenir à l’Université de Reims Champagne Ardenne ne laisse pas de place au doute : l’univers carcéral français est indigne d’un pays qui se revendique des droits de l’homme. Photographe de son métier, Jean-Christophe Hanché s’intéresse depuis 20 ans à toutes les formes d’errance. Ses recherches l’ont conduit sur les pas des réfugiés en Afrique, au Proche et au Moyen Orient. En France il s’est approché des SDF, des migrants, et tout récemment des détenus, car la prison n’est rien d’autre qu’une « errance sociale ». De cette année d’enquête au cœur du milieu carcéral lui vient une conviction étayée par les faits : l’administration pénitentiaire est dans l’incapacité de remplir sa mission.
La prison devrait, selon la loi, préparer à une réinsertion qui préviendrait la récidive. Elle n’en a pas les moyens. Le quotidien des détenus et des gardiens tel qu’il est décrit avec précision dans le mémoire de Jean Christophe Hanché en fait la démonstration flagrante.
UN CONSTAT ACCABLANT
La surpopulation carcérale dans les maisons d’arrêt induit des conditions d’hébergement indignes. Les détenus vivent à 3 dans des cellules de 10 mètres carrés où le frigo ne trouve plus sa place. La nourriture qu’on leur distribue ne se conserve pas. Ils sont contraints de se débarrasser de ces aliments avariés par les fenêtres…mais ces détritus sont retenus par les caillebotis qui équipent chaque ouverture. Les cafards et les rats envahissent non seulement les cellules, mais les cours et les coursives. La promiscuité est une source d’humiliation quand il s’agit d’utiliser les toilettes par exemple. A quoi s’ajoute l ‘insuffisance du personnel. Un surveillant en charge de 50 cellules, autrement dit de 100 à 150 détenus, ne peut pas gérer les mouvements vers les douches normalement prévus tous les deux jours. Les détenus y sont enfermés à plusieurs parce que les gardiens n’ont pas le temps matériel de les surveiller. Elle deviennent le lieu d’attentes interminables, de règlement de comptes et de violences. Les petits déjeuners peuvent être servis avec 3 heures de retard quand le gardien doit gérer des « mouvements prioritaires », audience, avocat, consultations médicale, etc…L’engorgement de ces déplacements conduit à parquer les détenus dans des espaces pudiquement nommés « salle d’attente » par l’administration pénitentiaire ou « placard » par ceux qui en font l’expérience. Ils peuvent y rester confinés pendant des heures, sans autre solution que d’uriner contre les murs. Ce n’est qu’un aperçu de dysfonctionnements qui sont evidemment source de tensions entre détenus, entre détenus et gardiens.
LA PRISON AUTREMENT
« Le réflexe des politiques, commente Jean-Christophe Hanché, c’est de créer des places de prisons, 6000places…12000 places supplémentaires… Mais ça ne fonctionnera jamais. La population carcérale a doublé en 30 ans (plus de 69 000 détenus en 2017) comme la durée moyenne des peines qui est passée de 4 à 8 mois.Plus on enferme plus la récidive augmente. On ne pourra jamais construire les prisons assez vite. Il serait logique de faire autrement mais ça nécessite un courage politique face à un populisme pénal revendiqué par les citoyens, et les attentats n’ont rien arrangé. Quand y aura-t-il un nouveau Badinter capable de changer le modèle carcéral comme il a su faire abolir la peine de mort, malgré l’opinion ? Dans le droit français, l’enfermement doit être le dernier recours. Il s’affiche aujourd’hui comme l’affirmation d’un État fort. » La prison est par ailleurs devenue la « salle d’attente » de la justice. Un tiers de le population carcérale est en détention provisoire, détenue avant d’avoir été jugée. Aujourd’hui les auteurs de délits routiers peuvent cohabiter avec des trafiquants de drogue. La prison désocialise, elle est destructrice pour le détenu et pour toute sa famille. Et les peines de substitution restent trop rares sans doute par manque de moyen. Mais un gouvernement peut-il affecter des crédits aux prisons, à la réinsertion, à la prévention de la délinquance quand il rogne sur sa politique sociale ? « On entre bien plus facilement dans un camps de migrant que dans une prison » dit Jean Christophe Hanché. Si l’indignité du milieu carcéral s’oublie si facilement c’est qu’elle est bien cachée. La presse se heurte presque systématiquement à une fin de non recevoir quand elle tente d’y pénétrer. Rares sont ceux qui savent vraiment ce qui se passe derrière les barreaux. Leurs témoignages doivent être entendus.