Guillaume souffre depuis l’enfance, depuis qu’il a été sexuellement abusé par l’abbé Prot quand il avait entre 11 et 13 ans. Ce quinquagénaire est aujourd’hui conforté dans son combat pour la vérité, et pour sa survie : l‘Église, et plus précisément l’INIRR qui agit en son nom, reconnaît pleinement qu’il a été une victime du prêtre rémois, de 1979 à 1981.
L’Instance Nationale Indépendante de Reconnaissance et de Réparation a été créée il y a 3 ans, après le séisme de l’affaire Preynat, par les Évêques de France. Ils reconnaissaient alors « la responsabilité institutionnelle de l’Eglise dans les violences qu’ont subies tant de personnes victimes, et la dimension systémique de ces violences. » Aujourd’hui cest la présidente de cette instance, Marie Derain de Vaucresson, qui écrit à Guillaume pour lui affirmer que ses souffrances sont reconnues et prises en compte.
UN CONSTAT ACCABLANT
La lettre que l’INIRR vient d’adresser à Guillaume sonne comme un réquisitoire. Sa signataire y révèle une connaissance précise du dossier rémois. Marie Derain de Vaucresson n’hésite pas à pointer les manquements de l’Eglise dans une approche sensible dont il faut saluer l’indépendance et la neutralité. Elle rappelle ainsi que les violences sexuelles subies par Guillaume se sont «enfouies dans son esprit, créant une amnésie, un vide de 40 ans», en insistant sur leur «retentissement tant dans votre vie intime que dans vos relations familiales et votre épanouissement professionnel». Elle ajoute que «l’Eglise n’a pas mis en place d’action de protection, ni agi vis-à-vis de l’auteur, au moment de la commission des faits. Elle mentionne les récits d’autres victimes faisant état de violences physiques et de la complicité des moniteurs de la colonie de vacances de Clefcy, dans les Vosges, ou l’abbé Prot avait développé, selon les termes de l’INIRR, «une ambiance hypersexualisée».
DES TÉMOIGNAGES GLAÇANTS
Outre le témoignage de Guillaume, Benoit et Georges (prénoms modifiés) ont en effet voulu livrer leur douloureuse expérience d’enfant, dans la presse (papier et web), et sur le site qu’ils ont créé. Leurs récits figurent ICI et ICI. Ils seront très prochainement entendus à leur tour par l’INIRR. Les crimes de l’Abbé Prot ont déjà été clairement qualifiés par la justice quand deux de ses nombreuses victimes, dont Benoît, ont trouvé le courage de se signaler au diocèse en 2019. L’archevêque Eric de Moulins Beaufort (Lire ICI) a transmis au parquet de Reims. Mais cette démarche s’est soldée par un non-lieu : les faits étaient prescrits, et leur auteur décédé depuis 1986. Pourtant, après une enquête du SRPJ de Reims, le Procureur de la République Matthieu Bourrette a écrit à ces deux hommes qu’ils étaient bien reconnus comme des victimes de viols. Et l’archevêque de Reims, rappelle l’INIRR, a été destinataire de cette lettre. Guillaume, quant à lui, a pu retrouver la trace de Benoit un peu plus tard, sur le site de La Parole Libérée. On était en 2023. Depuis cette rencontre, les deux hommes se sont mutuellement soutenus dans leur partage d’un vécu douloureux. Ils ont fondé le Collectif des Victimes de l’Abbé Prot pour élargir leurs échanges à tous ceux qui ont subi les agressions du prêtres, convaincus des bienfaits de ces relations. Ils ont rapidement été rejoints par Georges.
ENTRE 20 ET 30 VICTIMES RECENSÉES
Le véritable travail d’enquête qu’ils ont mené, ainsi que sa médiatisation, permettent de recenser aujourd’hui entre vingt et trente victimes du prêtre. Certaines ont accepté que leurs témoignages soient mis en ligne. D’autres ont préféré livrer leur sombre expérience par téléphone ou par écrit, sans qu’elle apparaisse pour autant sur le site du collectif. L’INIRR mentionne pour sa part le signalement de 4 victimes au diocèse. D’autres encore ont été révélés au collectif par des témoignages indirects. Car nombreux sont ceux qui sont partis le plus loin possible du traumatisme qu’ils ont subi. Et les récits de ces vies brisées, jusqu’au handicap mental et quelquefois jusqu’au suicide, sont nombreux. La lettre de l’INIRR fait par ailleurs état de la destruction de nombreuses images pédopornographiques retrouvées au domicile rémois du prêtre après sa mort. Elle ajoute que «les archives des institutions dont dépendait le prêtre ont disparu pour cette période», comme le collectif l’a récemment découvert.
L’IMPÉRIEUX BESOIN D’UN SOUTIEN DE L’ÉGLISE
La disparition des preuves interpelle. Elle complique surtout le recensement des victimes dont on ne peut plus ignorer le mal-être profond. Les trois hommes qui portent le collectif à bout de bras depuis un an s’y appliquent. Cette tâche les épuise parce qu’elle les ramène sans cesse à leurs propres difficultés. Ils réclament donc aujourd’hui un véritable soutien de l’Eglise dans l’identification et l’accompagnement de ces compagnons de souffrance. Guillaume accueille aujourd’hui la reconnaissance de l’INIRR avec un grand soulagement, comme une étape décisive de sa reconstruction. Mais il ne peut plus ignorer que beaucoup d’autres vies ont été détruites. L’INIRR rappelle dans sa lettre que l’archevêque Eric de Moulins Beaufort à pu conseiller à Guillaume d’utiliser les réseaux sociaux à cette fin. Les réseaux sociaux en effet été très utiles au collectif, mais il réclame depuis longtemps une implication plus forte du diocèse dans cette lourde tâche.