L’accusé est un homme qui, à 30 ans, vit toujours dans le déni de son homosexualité. Au Gabon, son pays d’origine, l’homosexualité est banie, et plus encore pour les chrétiens comme lui. Au Sénégal, où il a longtemps vécu, elle est criminalisée. Alors, pour contourner ce tabou, il fréquentait des travestis. C’est ainsi qu’il a violé et tué Paula qui était Paul Migeon pour l’état civil. Jean Paul Isaki vient d’être condamné à 25 ans de réclusion criminelle par la Cour d’ Assises de la Marne pour viol et meurtre commis en raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre de la victime. Une qualification rarement retenue.
Paula voulait être femme malgré son corps d’homme. Elle ne l’affichait pas, elle ne s’en cachait pas non plus. Jean-Paul Isaki est allé à la rencontre de cette transgenre , dans son appartement de l’avenue de Laon à Reims, le 7 avril 2021. Il l’a violée, en étouffant ses cris avec un oreiller, avant de la tuer sauvagement de 14 coups de ciseaux dans le cou et la nuque. Il a aussi lacéré ses sous-vêtements féminins roses et noirs, il a coupé ses cheveux blonds décolorés. Il a mis le feu à son appartement. Et puis il est parti. Les voisins l’ont vu passer sur le palier, et disparaître après avoir bredouillé quelques mots inintelligibles.
UNE RÉCIDIVE TROUBLANTE
Paul Isaki a été assez facilement « tracé » par les enquêteurs grâce à la carte de crédit qu’il a utilisée dans les jours qui ont suivi. C’était celle de sa victime. Ils ont rapidement découvert que cet homme était déjà sous contrôle judiciaire, mis en examen pour tentative de meurtre sur une escort-girl transgenre à Evry en 2017. Il a reconnu ses crimes rémois après son arrestation, prétendant d’abord que c’était pour se venger d’une arnaque , avant d’expliquer : «vu qu’elle voulait du sexe, j’ai abusé de lui.» L’accusé a une stature d’athlète, Paula mesurait 1m68. Il s’était rendu chez elle, comme d’autres avant lui. Ces relations aussi discrètes qu’éphémères se déroulaient dans l’intimité de son appartement, après des échanges sur les réseaux sociaux.Trois ans plus tard, à l’audience, Jean Paul Isaki s’est cantonné dans un mutisme quasi total, sur sa vie, ses actes et sa sexualité, puisqu’il en avait le droit : «je choisis de garder le silence».
DES DÉMONS, RÊVÉS OU INVENTÉS
Les rares paroles de l’accusé ont été stratégiques, dictées par ses avocates, notamment pour exprimer des remords : « Ce que j’ai fait, c’est impardonnable. Je regrette d’avoir ôté la vie à quelqu’un qui n’a rien fait.» Il a par ailleurs tenu à évoquer les démons qui l’auraient habité au moment de ses crimes sous la forme de vols terrifiants de pigeons. Car les démons existeraient vraiment selon certains africains, comme est venu le rappeler le Docteur Videlaine à la barre. La mère de l’accusé l’avait d’ailleurs affirmé un peu plus tôt. L’expert psychiatre s’est appesanti à son tour sur cette culture africaine de la sorcellerie. Ainsi fait-elle surface quand ce meurtrier habituellement très tranquille doit se justifier de ses crises d’agressivités soudaines ou de son penchant pour les incendies. «Ce processus délirant existe dans la reconstruction secondaire de la réalité» explique l’expert. Mais «au moment des faits, affirme encore Raymond Videlaine, l’accusé n’était pas en proie à des troubles psychiatriques qui auraient pu modifier son comportement.» Ce ne sont donc pas les démons qui ont poussé l’accusé au crime comme il veut le faire croire.
ET L’HOMOSEXUALITÉ DANS TOUT ÇA ?
Rien pourtant, dans le rapport de l’expert, ne viendra renseigner la Cour sur ces deux agressions de travestis si semblables, commises à des années d’intervalles, par un accusé qui n’assume pas son homosexualité. « Rien dans vos investigations ne nous éclaire sur sa position face à son homosexualité » insiste la Présidente Catherine Hologne. L’Avocate Générale, Mathilde Compagnie, exprimera le même regret un peu plus tard en insistant sur ce qui s’est imposé au fil des débats : Jean Paul Isaki ne supporte pas sa propre homosexualité parce que sa culture ne lui permet pas de l’accepter. Et c’est bien l’orientation sexuelle de Paul Isaki qui le conduit à tuer, en raison de l’orientation sexuelle de sa victime. « Il faut que ça s’arrête » ajoute Mathilde Compagnie en déplorant que l’accusé n’évolue pas, puisqu’il refuse de travailler sur ses difficultés majeures.
POUR LA CAUSE
La nièce de Paula (sur l’image ci-dessus avec son avocat Mourad Ben Koussa) s’est constituée partie civile dans ce dossier. Laura suit le procès en retenant ses larmes. Elle se dit très proche de cet oncle qui s’est toujours senti femme et qui ne s’en cachait pas. «Elle disait je suis une femme hétérosexuelle. Je ne suis pas née dans le bon corps ». « J’aurais tellement aimé, dit- la jeune femme, que l’association Ex Æquo (c’est le centre LGBTI de Reims ndlr) puisse venir à cette barre pour dire ce que sont ces personnes.» La sœur de Paula a en effet refusé qu’Ex Aequo se constitue partie civile. Parce que c’était sans doute trop insister sur l’orientation sexuelle de son frère.
Samuel Tarcy, le président de l’association, suit tout de même le procès de bout en bout aux côtés de Laura. car cette audience est bien celle d’une cause, comme le souligne Maître Ben Koussa. « Je voudrais que tous ceux qui se reconnaissent en Paula se disent la même chose : ce ne sont pas eux le problème conclut sa nièce Laura. Je voudrais qu’il n’y ait plus jamais de Paula.» Le verdict, 25 ans de réclusion avec une peine de sûreté des deux tiers, est la reconnaissance de ce qu’elle dénonce. Et c’est un soulagement pour elle .