Depuis un mois ils ont quitté les tentes du parc Saint John Perse de Reims. Ils dorment et vivent dignement, sous un toit*. Les familles sont installées dans une maison du centre de Reims, les hommes seuls à la périphérie de la ville . Les bénévoles du Collectif 51 de soutien aux exilés les accompagnent comme ils l’ont toujours fait. Le noyau dur des aidants compte une bonne vingtaine de personnes mais ils sont plus de cent à pouvoir se mobiliser très vite quand la situation l’exige, via les réseaux sociaux qui sont au cœur du dispositif. Les migrants n’ont plus peur et ils ne font peur à personne. Serait-il possible de tirer des leçons de ce morceau de vie solidaire ?
Le paradoxe est là : les sondages indiquent qu’une majorité de français n’est pas favorable à l’afflux des migrants, mais à Reims l’élan des bénévoles ne faiblit pas. Comme ailleurs en France, ils refusent de voir les réfugiés dormir dans la rue parce que les structures d’hébergement sont saturées. Ils arrivent d’Afrique (Congo, Soudan, Nigéria, Angola) ou des pays de l’est (Tchétchénie, Arménie, Kosovo, Serbie, Macédoine, Albanie). Certains sont accueillis par des familles tandis que d’autres se démènent pour les mettre à l’abri en attendant la régularisation administrative des dossiers de ces demandeurs d’asile. Ceux qui partent, quand ils sont pris en charge par l’Etat, sont remplacés par d’autres arrivants. C’est ainsi que le Collectif 51 accompagne en permanence une cinquantaine de demandeurs d’asile. Chacun fait en fonction de son temps et de ses moyens. Les commerçants donnent de la nourriture ou des vêtements invendus. Certains donnent de l’argent (40 000 euros collectés en 2017) quand d’autres donnent un coup de main ou quelques heures de leur temps : cours de français, ateliers de menuiserie ou de réparation de vélos, soins infirmiers ou suivi médical, conseils juridiques…Toutes les compétences s’exercent efficacement sur les deux sites qui ont été mis à disposition par un patron rémois.
UNE MOSAÏQUE CULTURELLE
Vivre sous le même toit n’est pas toujours facile et la diversité culturelle et religieuse de ce microcosme pourrait compliquer les choses. Mais ici, chacun doit accepter l’autre parce qu’il n’y a pas d’alternative. Les habitudes sont différentes, mais le consensus est obligatoire. Une organisation efficace est en train de se mettre en place parce que l’autogestion ne fonctionne pas, et cette communauté de vie temporaire est aussi un moyen de mieux supporter l’attente. « Ceux qui sont là ont subi des épreuves qu’on a du mal à imaginer, dit un des bénévoles, mais il faut tout de même instaurer un minimum de règles de vie commune : gestion du chauffage, de l’électricité, tournante pour le repas du soir. C’est difficile parce que chacun a ses habitudes alimentaires. Mais on discute de tout ensemble, sans aucune barrière. Alors que la laïcité peut faire l’objet de débats tendus, je n’ai jamais vu personne s’indigner de se voir proposer du porc. Tout le monde prend ce qu’il a envie de manger. Le racisme et le sexisme habituel des albanais n’a pas cours ici. Ils font la vaisselle comme les autres ». La diversité est respectée par tous, y compris parmi les bénévoles. Tout le monde ne donne pas pour les mêmes raisons mais ça n’empêche pas l’efficacité. L’engagement peut être politique pour certains, mais ils sont loin d’être majoritaires et les discussions ne portent jamais sur le problème de l’immigration.
REGARDER L’IMMIGRATION EN FACE
« Tout le monde est convaincu qu’on ne peut pas accueillir toute la misère du monde. Le gros argument c’est l’appel d’air : on attire les migrants en s’occupant d’eux. Mais beaucoup de gens comprennent aussi qu’on n’arrêtera pas l’immigration, dit une des chevilles ouvrières du Collectif. On est tous contre l’immigration, dans la mesure ou on préférerait tous que les gens puissent vivre dans leur pays dans des conditions décentes. Mais l’immigration est une réalité . Les réfugiés politiques ou économiques ne font qu’annoncer les réfugiés climatiques de demain. » La barre des 100 000 demandeurs d’asile a été franchie en France en 2017. C’est 3 fois plus qu’en 2009. Peut-être beaucoup ont-ils compris au sein du Collectif 51, et avant nos dirigeants, que l’immigration est un fait qui ne se discute plus ? Ces citoyens là gèrent donc le problème avec leurs petits moyens, refusant de ne rien faire parce qu’on ne peut pas tout faire. L’expérience rémoise s’appuie sur un réseau de bénévoles exceptionnel. Des catholiques, des protestants, des musulmans, des athées dont l’expérience originale mérite d’être regardée avec attention pour déboucher, pourquoi pas, sur une vraie réflexion politique.
*Lire par ailleurs : « Un entrepreneur de Reims met les migrants à l’abri »
« Migrants : la justice administrative est submergée »
« Pour les migrants, rien ne change »
« Solidarité pour les migrants à Reims »
« D’un campement à l’autre »
« Réfugiés : le combat sans fin des bénévoles »