Pourquoi faut-il commencer par des chiffres pour évoquer le rôle des femmes dans la culture ? Parce que, là comme ailleurs, elles sont sous-représentées. En France, les évènements culturels n’affichent que 20% de femmes. Céline Bagot (photo de Chloé Vollmer-Lo)vient de créer le Pop Women Festival de Reims. Elle a l’ambition d’en faire, d’ici 5 ans, le festival incontournable de la création féminine et de l‘égalité hommes-femmes. Du 9 au 11 Mars prochain, ce festival Pop et féminin fait intervenir 20% d’hommes… pour l’équilibre. Tables rondes, dédicaces, concerts, ou spectacles, les artistes s’engagent. Le programme complet est ICI
Comme toutes les femmes de sa génération, cette rayonnante quadra a baigné dans une culture misogyne. « Au point, dit-elle, que j’étais misogyne quand j’avais 20 ans. Je m’en suis rendue compte plus tard.» Son parcours professionnel, consacré en grande partie à la promotion du festival d’Angoulême, a changé la donne.
TOUS LES TALENTS
Les hasards de la vie ont conduit Céline Bagot à délaisser pour un temps le plus grand festival mondial de la bande dessinée. C’était pour aller diriger, dans un milieu d’hommes, la Chambre de Commerce du Cambodge. Mais en 2016, Angoulême l’a rappelée. Il fallait absolument faire oublier la crise historique que le festival venait de connaître, faute d’avoir su donner la place qu’elles méritaient aux femmes. Elles étaient pourtant déjà très présentes à l’époque dans la BD, dans les écoles aussi. « Mais les femmes étaient moins visibles, moins publiées regrette Céline Bagot»…sauf si leurs œuvres baignaient dans la douceur. «J’ai connu cette vague, là. On publiait des autrices mais avec de la couleur rose.» En reprenant les rênes de la communication du festival, elle y a fait apparaître ce mot d’autrice, qui dérangeait encore beaucoup. Le geste était symboliquement très fort dans un milieu qui ne jurait que par les hommes. Quand elle est venue s’installer à Reims il y a 3 ans, par amour pour son compagnon, ses convictions culturelles et féministes étaient donc bien forgées.
UN MONDE PARFAIT
La base de l’événement qu’elle veut créer en Champagne sera donc la créativité féminine, mais en laissant une place aux hommes. «Parce que moi, ce que je veux défendre au départ, dans un monde parfait, ce sont les œuvres, pas les genres. Puisque dans les autres festivals c’est 20% de femmes, moi je vais programmer 20% d’hommes. Ils peuvent être féministes eux aussi, ils ont un avis sur ces questions. L’objectif est d’arriver à 50/50 d’ici 5 ans dans un festival devenu incontournable » Autre constat : la discrimination subie par les femmes s’exerce dans toutes les disciplines. Musique, photo, jeux vidéo ou BD. « Elles ont toutes le même problème : un manque de visibilité, donc de moyens, ce qui les oblige à abandonner leur carrière, parce qu’elle n’ont pas de quoi élever leurs enfants, par exemple, tout en créant.» Le Pop Women Festival s’ouvrira donc aux créatrices de talent. Il y en a beaucoup et dans tous les domaines artistiques. Je programme des femmes que je connais, passionnantes, intelligentes. Le Pop Women Festival a toutes les chances de réussir parce qu’il nous interpelle et qu’il est en de bonnes mains.
TOUT POUR CONVAINCRE
L’ingénierie culturelle est en effet un métier que Céline Bagot connaît très bien. Son engagement et ses convictions féministes sont servies par une véritable compétence entrepreneuriale. Pour l’instant elle investit beaucoup, sans rien gagner. « La culture est aussi un business, je n’ai aucun problème avec ça tant que je reste fidèle aux valeurs d’humanisme, de féminisme, et d’inclusion en défendant les artistes et la créativité des femmes. Mon médium à moi c’est la culture pour faire passer le message. Et Reims a beaucoup d’atouts. » Comme l’accessibilité, l’hébergement, et ses très nombreuses salles qui se sont d’ailleurs ouvertes au Pop Women. « Reims 2028 » soutient activement les projets de Céline Bagot, comme cette proposition d’un colloque européen sur l‘égalité homme-femme dans la culture. Il est même question de consacrer des rendez-vous à cette thématique, au delà des temps fort du festival. La première édition du Pop Women, en 2022, a été un succès mais elle était gratuite. Aujourd’hui, les réservations (payantes) fonctionnent bien. Le public est intéressé, curieux, impliqué. « Je ne vais pas révolutionner le monde, mais si quelques personnes réagissent, j’aurai gagné mon pari.»