Christian Lantenois a été violemment frappé le 27 février 2021 alors qu’il couvrait une rixe annoncée entre bandes rivales dans le quartier Croix Rouge à Reims. Après 4 semaines de coma et une longue rééducation, le photojournaliste n’a pas pu reprendre son travail au Journal l’Union. Les séquelles sont importantes chez cet homme de 68 ans qui, aujourd’hui, reste impassible en toutes circonstances. Son principal agresseur vient d’être condamné à 12 années de réclusion criminelle par la Cour d’Assises de la Marne. “Il sortira dans 3 ou 4 ans et il recommencera” commente avec amertume l’épouse du photographe. Jocelyne Lantenois se dit par ailleurs terriblement déçue par le comportement de l’employeur de son mari après ce terrible accident du travail.
Le procès s’est déroulé à huis clos parce qu’un des agresseurs était mineur au moment des faits. Il comparaissait libre en même temps qu’Anes Said Khebbeb, en détention provisoire depuis cette agression. Il avait 22 ans quand il s’en est pris très violemment à Christian Lantenois. Son casier judiciaire comptait déjà 14 condamnations. Le photographe de l’Union était venu rejoindre une collègue au volant d’une voiture aux couleurs de son journal. Elle était arrivée un peu plus tôt dans un véhicule banalisé pour couvrir un affrontement annoncé, et même préparé entre deux bandes rivales du Quartier Croix Rouge.
DANS UNE BULLE
Cette agression a d’abord été perçue comme une entrave à la liberté de la presse. Selon Maître Chemla, l’avocat de Christian Lantenois, le procès a permis de comprendre qu’elle n’était pas spécifiquement dirigée contre un journaliste, mais « contre quelqu’un qui est en train de photographier ce qui doit rester privé, c’est à dire un combat entre bandes rivales. » Les débats ont confirmé, selon l’avocat, le modèle social « très caricatural » et déjà bien connu de ces bandes. « Un univers volontairement enfermé dans une bulle » comme l’a découvert Jocelyne Lantenois à l’audience. Rien de ce qui se passe dans le quartier ne doit en sortir, quel que soit l’auteur des photos. « Christian leur a pourtant montré qu’il avait tout retiré, qu’il n’y avait plus rien dans l’appareil mais ils l’ont frappé quand même, dit elle encore. Khebbeb a pris l’appareil et il l’a fracassé par terre. Ç’aurait été n’importe qui d’autre c’était pareil. Rien à voir avec le fait que Christian soit journaliste. C’est comme tout ce qu’on voit en ce moment. De plus en plus de pure violence sans raison par de plus en plus jeunes » Une explication du déclenchement de cette agression là serait, selon Gérard Chemla, dans la frustration des agresseurs.
UN GROUPE ÉNERVÉ
« Ils attendent sur la place que la bande rivale arrive depuis presque une heure ils ne voient personne. Christian est devenu une cible d’opportunité ». « Ils s’étaient équipés de haches, de balles de golf et de cannes volées chez Décathlon, de couteaux de barres de fer. Pour eux ce ne sont pas des armes » ponctue le photographe. « On le voit sur la vidéo ajoute Jocelyne, ils entourent Christian qui est au sol. Ils le voient saigner de la tête et ils repartent tous tranquillement ». Le plus jeune des accusés a tout de même demandé au chauffeur d’une voiture qui passait par là d’appeler les pompiers. Mais c’est le même qui, 15 jours plus tard, sera pris dans une autre bagarre. Il a été condamné, pour sa part, à 4 ans dont un ferme sous bracelet électronique. « Khebbeb a pris 12 ans, il en a déjà fait 3, dans 3 ans il ressortira. Nous c’est pour la vie. Il parait qu’il a pleuré quand j’ai témoigné à la barre dit Jocelyne. Mais je ne suis même pas sûre qu’il soit conscient de ce qu’il a fait. Ils ne prennent pas assez, donc ça ne leur fait pas peur. Ils recommenceront. Les autres gamins ont défilé, sans se souvenir de rien, jurant qu’ils disaient la vérité, et ils sont repartis, désinvoltes ».
COMME UNE IMPUISSANCE DE LA JUSTICE
Pourtant, à l’ouverture du procès, la levée du huis clos demandée par l’avocat de la victime avait été refusée, notemment en raison des risques de représailles qui auraient pu gêner la sincérité des témoignages. Mais selon Maître Chemla, « la Cour s’est finalement fait un peu promener par des discours tout faits, très habituels de la part des personnes en butte à la police et à la justice depuis des années, et qui ont le logiciel adéquat pour répondre : c’est pas moi, je suis désolé, je le ferai plus, j’ai compris…» Ainsi la justice serait elle « outillée pour ne pas comprendre selon l’avocat. Elle n’est pas là pour sanctionner mais pour éduquer. Elle s’enferme dans une logique qui considère que ce sera suffisant, même pour un majeur particulièrement violent. » Anes Said Khebbeb a eu 19 rapports disciplinaires en 3 ans et demi de détention. Il a été placé en quartier disciplinaire à 9 reprises dont la dernière fois il y a six mois pour des violences à plusieurs sur un garçon seul.
« UNE RÉACTION CITOYENNE DES JURÉS »
« Je ne vois pas ce qu’il va faire pour arrêter de réfléchir avec ses poings.» se demande Gérard Chemla. La peine de 12 ans prononcée par la Cour est selon lui une peine sévère dans l’absolu, car ce n’étaient que des coups de poings, aux conséquences très graves, mais seulement des coups de poings. La sanction ne serait pourtant pas assez sévère, pour l’avocat, quand la mécanique de la violence est aussi présente. Elle ne serait pas adaptée à la personnalité dangereuse de l’accusé. Le verdict a été rendu, faut-il le rappeler, par un tiers de juges professionnels et deux tiers de jurés qui votent en leur âme et conscience. « La décision ne peut pas être mise sur le dos des juges dit encore l’avocat. Donc arrêtons de parler de justice, on va parler d’une réaction citoyenne, très éloignée de ce que présentent les instituts de sondage ou les élections.» La misère sociale a pris une grande place dans les débats. Les accusés n’ont pas de père ou un père violent, des mères surprotectrices, déphasées. « Alors la culpabilité se met en place, on a du mal à ne choisir que la répression, on veut espérer que l’éducation va fonctionner. »
DOUBLE PEINE POUR LA VICTIME
Jocelyne Lantenois est entièrement dévouée à son mari depuis qu’il a été diminué par cette violence gratuite. Elle est passée par tous les états d’âme. L’indifférence, pour tenir le coup, la colère, parce que ce drame n’aurait jamais dû arriver, et maintenant la déception. Car ce verdict qu’elle estime trop clément est une autre blessure. A quoi s’ajoute un comportement décevant, selon elle, de l’employeur de son mari. Après 40 ans de bons et loyaux services, il n’a pas pu reprendre son travail en raison des séquelles que lui a laissé ce terrible accident du travail. « Le journal a refusé de prendre notre défense en charge, et il n’a même pas eu le droit à un pot de départ. C’est mesquin » dit Jocelyne. « On n’a pas vu la direction du journal à la barre ajoute Gérard Chemla. Le soutien s’est limité à une attitude d’affichage dans les colonnes du journal, une auto-publicité. A tel point que j’envisage une action au Prudhomme contre le quotidien l’Union, ne serait-ce que pour les faire condamner à payer les frais d’avocats. » L’avocat du journal, maître Eric Raffin, indique qu’il n’a « aucun commentaire à faire sur ces affirmations qui appartiennent à leurs auteurs. »