“Je suis très étonné de me retrouver ici. A aucun moment je n’ai eu la volonté de contrevenir à la loi.” Vincent Sanchez s’exprime avec gravité. L’homme est discret, jusqu’à l’austérité, parfois recroquevillé sur son banc quand ses accusateurs s’acharnent. C’est lui qui a décidé d’appliquer la loi Leonetti Claeys sur la fin de vie pour Vincent Lambert. Ce patient de 40 ans était en état végétatif depuis septembre 2008. Dans le service qu’il dirige au CHU de Reims, le médecin a cessé en Juillet dernier de lui donner les soins qui l’empêchaient de mourir, pour l’essentiel une hydratation et une alimentation artificielle. Cette décision de mettre fin à une obstination déraisonnable a été validée par les plus hautes instances juridiques et par les multiples collèges d’expert qui ont examiné Vincent Lambert. Son épouse Rachel a fini par s’y résoudre aprés avoir tout tenté, vraiment tout, pendant des années. Mais sa mère, Viviane Lambert, n’a pas accepté. Catholique intégriste elle s’est opposée à la fin de vie de son fils en multipliant les procédures. Ses avocats, Maîtres Paillot et Triomphe, en dénombrent 62 en 6 ans, dont cette audience devant le Tribunal Correctionnel de Reims.
DES ACCUSATIONS VIOLENTES
Cette fois les poursuites ont donc été engagées pour non assistance à personne en péril avec la caution d’un témoin neurologue, le Docteur Ducros, médecin hospitalier à Metz. Il s’indigne à la barre des conditions de prise en charge de Vincent Lambert. Ce qui vaut au Docteur Sanchez d’avoir à se justifier sur l’absence de soins de stimulation, sur l’enfermement de son patient dans une chambre vérouillée sous vidéosurveillance, et par ailleurs sur son refus de surseoir à sa décision d’arrêter les soins malgrè un recours du Comité des droits des personnes handicapées (CDPH) de L’ONU.
Plus violent encore, Jérôme Triomphe s’interroge sur la nomination du prévenu au poste de chef de service de Reims, alors que sa carrière ne le promettait pas à cette promotion. Comme s’il la devait à son engagement d' »achever ce qui avait été commencé », d’aller jusqu’au bout d’une décision que ses deux prédécesseurs n’avaient pas pu finaliser. Vincent Sanchez pourtant ne faiblit pas. Il dit avoir pris sa décision dans le respect de ce que son patient a été, un homme qui “avait exprimé le refus d’être ce qu’il était devenu”. Et quand il lui est reproché de ne pas avoir visionné la vidéo abondamment diffusée sur les réseaux sociaux en prétendant faire la preuve que Vincent Lambert était conscient, il répond qu’il a préféré l’examiner, l’observer des heures durant, avant de se convaincre, comme les plus éminents spécialistes qui l’ont expertisé, que “ses capacités relationnelles étaient impossible à mettre en évidence.”
LE RÉQUISITOIRE LAMINE LA PARTIE CIVILE
Dès l’entrée de son réquisitoire cinglant le Procureur de la République fait remarquer que « ce procès est moins celui du Docteur Sanchez que celui de la Loi Leonetti Claeys qu’il a rigoureusement appliquée ». Il rappelle que seule l’épouse et tutrice de Vincent Lambert était en droit de demander son transfert dans un autre établissement, ce qu’elle n’a pas souhaité. Et que les mesures de sécurité, qualifiées “d’enfermement” par la partie civile, ont été mises en places autour du patient pour permettre à ses proches de lui rendre visite régulièrement malgré un contexte familial particulièrement tendu.
Matthieu Bourrette fustige aussi les tribunes ou déclarations tonitruantes de médecins qui dénoncent l’insuffisance du Docteur Sanchez sans connaître son patient, alors que trois experts ont salué la qualité des soins dont il bénéficiait. Le procureur rappelle enfin que la Cour Européenne des Droits de l’Homme a validé la procédure de fin de vie de Vincent Lambert et que les décisions de la CEDH priment sur celle d’un comité, fut-il onusien. Après 5 heures de débat, le procès s’est achevé comme il a commencé, devant un public clairsemé. Le motif improbable de la plainte de Viviane Lambert, non assistance à personne en péril, n’a donc pas mobilisé. Y compris parmi ceux qui ont voulu faire de Vincent Lambert un martyr de la loi sur la fin de vie.
RELAXE ET FIN DES HOSTILITÉS ?
Le procureur, insistant sur le caractère abusif de la citation, indique d’ailleurs qu’il aurait lui-même engagé les poursuite s’il avait eu le sentiment que le Docteur Sanchez méritait sa place de prévenu. La défense s’est elle aussi posé la question de l’irrecevabilité de la plainte, «mais nous ne l’avons pas soulevée dira Maitre Normand Bédard « pour que l’abcès soit crevé. » Matthieu Bourrette venait de requérir la relaxe du Docteur Sanchez sans amende pour la partie civile en espérant, avec les mots de François d’Assises, que la décision du tribunal devienne «un instrument de paix» dans un dossier particulièrement violent.
Le 28 Janvier 2020 le Tribunal a prononcé la relaxe du médecin. Ce jugement pourrait faire jurisprudence. Les avocats de la mère de Vincent Lambert ont fait appel quelques jours plus tard.
Le vendredi 13 novembre, la Cour d’Appel de Reims a prononcé à son tour la relaxe du Docteur Sanchez.
Il n’aura pas à verser le million de dommages et intérêts réclamés par Viviane Lambert. Ses avocats annoncent un pourvoi en cassation .
ts.