Le festival “Médias et Journalistes” est né de la volonté de sensibiliser le jeune public aux méthodes du journalisme professionnel. Il prend la forme d’échanges nourris entre des élèves (de l’école primaire au lycée) et des journalistes sélectionnés pour la rigueur de leur travail. On le doit à Nova Villa, association bien connue à Reims pour l’organisation de spectacles jeunes publics. Depuis 5 ans le directeur Joël Simon a élargi son champ pédagogique à la découverte du métier de journaliste et à sa matière. Malgré les conditions difficiles liées à la pandémie, 24 de ces rencontres ont été maintenues cette année. Loin des idées reçues, elles auront permi aux élèves de découvrir que ce métier est fait de patience et de scrupules.
Etienne Huver est journaliste indépendant. Il a obtenu le prix Albert Londres en 2016 pour son documentaire “Disparus : la guerre invisible de Syrie”. Il n’est pas un inconnu pour les élèves de troisième qui sont venus l’écouter ce matin là dans une salle du Collège Jeanne d’Arc de Reims. Tous apprécient déjà son travail pour l’avoir étudié avec leurs enseignants. Entre admiration et curiosité, les questions sont d’abord étonnamment pertinentes.
“POURQUOI EST-CE QUE L’EUROPE NE FAIT RIEN ? ”
Le reporter a commencé à s’intéresser aux réfugiés en accompagnant les organisations humanitaires sur leurs bateaux. Il les a vu sauver ceux qui fuient la Libye entassés par dizaines sur des zodiaques au péril de leur vie, car les naufrages ne sont pas rares. En bon journaliste, il se devait ensuite « d’aller voir la Lybie, pour savoir de quoi on parle”. Découvrir les camps de rétention décrits par tous les réfugiés après leur sauvetage. Il a fallu pour ça tromper la méfiance des gardes, parce que le travail des journalistes c’est de trouver ce qu’on ne veut pas vous montrer et pas de faire ce qu’on veut vous faire faire.” Les élèves s’interrogent sur la passivité européenne dans le sauvetage des immigrés. “L‘Europe ne soutient pas les ONG, répond Etienne Huver, pour éviter l’afflux de migrants. Elle donne de l’argent à la Libye pour que les camps soient aux normes mais tout ça est détourné. La solution c’est que les citoyens, vous même dans quelques temps, vous fassiez changer les choses. Je ne peux que favoriser la prise de conscience. Moi je ne suis pas un activiste, je suis là pour documenter.”
“EST-CE QUE C’EST DUR” ?
Le journaliste est resté un mois sur le bateau pour assister à trois sauvetages d’une centaine de personnes. “C’est un grand soulagement , mais une fois qu’ils sont à bord, on ne peut rien leur promettre”. L’Italie peut refuser de les accueillir, négocier avec les pays voisins pour qu’ils prennent leur part, et ça peut être très long. “On ne peut pas tout leur dire et c’est dur, oui c’est très dur.” Difficile aussi d’entendre ceux qui sont parqués dans les camps de rétention. “Quatre cents personnes assises dans une cour, sans oser parler c’est oppressant. Quand ils se libèrent, quand ils parlent, on est comme dans un cabinet de psy. Et le rôle du journaliste, c’est de ne pas les faire parler pour de mauvaises raisons, de chercher ce qui est important pour l’info. Nous on doit faire le tri.” Le montage se fait plus tard à plusieurs sur des dizaines d’heures d’interview…pour 50 minutes de documentaire.
“LA ON SENT QUE C’EST VRAIMENT VRAI”
Authenticité, respect, vérité…Zahra est véritablement passionnée par ces échanges. Pour elle le métier de journaliste est une belle surprise. “Là on sent que c’est vraiment vrai, c’est ça qui touche le plus. C’est puissant. Ce n’est pas mis en scène et les gens ressentent vraiment ce qu’ils disent tandis que sur les réseaux sociaux on peut tout inventer.” Ces échanges avec Etienne Huver ont d’abord été préparés en classe avec les professeurs. Zahra en retiendra qu’un reportage nécessite beaucoup de recherche et de temps avant d’approcher la vérité
Les fake news auront sans doute moins de prise sur la collégienne et sur ses camarades qui sauront décrypter l’actualité d’un regard plus acéré.
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“Je respecte beaucoup ce travail, dit encore Zahra, parce qu’il est long et fatigant”. En proposant ces rencontres au fil des années dans les établissements scolaires de Reims, le directeur de Nova Villa espère “rétablir les relations entre les jeunes les journalistes, casser l’image du journaliste pourri, ouvrir les portes qui vont leur donner l’envie de s’intéresser à l’actualité. » Ici, d’au Collège Jeanne d’Arc de Reims le but de Joel Simon a sans doute été atteint.