Aux Assises de la Marne, Didier Jacquemart vient d’être condamné à 12 ans de réclusion criminelle pour tentative de meurtre. Il y a 4 ans, cet informaticien modèle a frappé son épouse de plusieurs coups de couteau, après 34 ans de mariage. Leur procédure de divorce s’était compliquée. Les saisies sur salaire empêchaient l’accusé de satisfaire les besoins d’une jeune maîtresse particulièrement exigeante. Il était à bout. De sorte que dans le quartier Murigny, à Reims, trois des quatre enfants alors gardés par son épouse ont dû assister, à l’agression dévastatrice de leur nounou.
“J’ai vu une scène terrible. Elle était bloquée contre le mur, la grande lame du couteau posée contre son cou. Il avait le regard fixe. Elle résistait, c’était impressionnant.” La voisine décrit une scène d’horreur interrompue par l’arrivée de son mari. «Qu’est-ce que tu es en train de faire ? Donne-moi ce couteau ! » Didier Jacquemart s’est exécuté. “Vous ne savez pas ce qu’elle m’a fait cette salope”, et il est parti.
UN BEL APRÈS-MIDI DE NEIGE
Les enfants venaient de rentrer de l’école. Ils s’apprêtaient à goûter après une partie de boules de neige. Ils ont vu surgir un homme. « J’avais peur qu’il la tue avec son gros couteau .» Ils voient la lame s’enfoncer dans son ventre, la blesser au cou et à l‘épaule. Ils voient la violence et le sang malgré les suppliques de leur nounou. « Ne fais pas ça devant les enfants.»
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Le plus intrépide tente de neutraliser l’agresseur à coup de boules de neige pendant qu’un autre court chercher la voisine comme sa nourrice le lui demande. Ils avaient entre 3 et 7 ans. Ils en restent traumatisés, à des degrés divers. La tentative de meurtre dont Didier Jacquemart doit répondre est en tous cas juridiquement aggravée par leur présence.
LEUR NOUNOU AURAIT PU MOURIR
La victime aurait perdu la vie si elle n’avait pas subi une ablation de la rate en urgence. Elle a reçu au moins 5 coups de couteau. Ils sont à l’origine d’un pneumothorax, d’une plaie du médiastin, outre la blessure abdominale qui aurait pu être fatale. La lame de 21 cm a été freinée par la doudoune et les vêtements chauds qu’elle portait. L’expert psychologue insiste sur l’importance du stress post traumatique sur cette femme. Elle était âgée de 56 ans quand il l’a entendue. Il évoque aussi le choc de la remise en liberté de son agresseur un an après les faits, sans qu’elle en ait été avertie. “C’est dur d’accepter ce qu’il m’a fait » dit-elle à la barre. Son mari ne l’a pas tuée, mais il l’a détruite. Ses cicatrices lui rappellent chaque jour que l’homme qui a partagé sa vie pendant plus de 30 ans, le père de ses enfants, a voulu la supprimer.
UN COUTEAU POUR DISCUTER
Il affirme le contraire. Son fils ne le croit pas. Il n’a plus revu Didier Jacquemart depuis ce drame du 6 février 2018. Les propos de cet informaticien de 36 ans sont tranchés. Il est convaincu que son père a voulu assassiner sa mère. Pour lui, l’achat de l’impressionnant couteau de cuisine en est la preuve. Et il l’a bel et bien mis dans son sac avant d’aller chez elle. Son père soutient qu’il a fait cette acquisition pour se protéger des agressions fréquentes en région parisienne où son travail le conduisait chaque jour. Le couteau était dans son emballage d’origine, au fond de sa sacoche, dans un sac en toile. Chacun s’interroge sur cette improbable stratégie de défense en cas d’agression dans la rue. Mais il n’en démords pas. Et s’il l’a pris pour aller voir son épouse, c’était pour l’impressionner, pour qu’elle accepte de discuter. Il fallait lui faire entendre raison parce que leur divorce lui coûtait trop cher.
LES SIGNES AVANT COUREUR
Il ne voulait pas l’agresser. Il dit avoir frappé parce qu’il n’était plus lui-même. « Je ne sais pas ce qui s’est passé. C’est pas moi ça. Je n’ai pas su résister à la pression que j’avais, je ne voyais pas comment en sortir.» Les experts utiliseront en effet l’image d’une cocotte minute pour expliquer la violence de cet homme très ordinaire. Mais pour son fils, « il ne s’agit pas d’un acte de folie momentanée. C’était prémédité. » Des menaces ont d’ailleurs précédé l‘agression : « Il ne faudra pas s’étonner si la maison brûle », « Un jour elle aura un accident. » On a vu rôder l’accusé dans le quartier de son épouse alors qu’il n’avait plus rien à y faire. La maman d’un des enfants qu’elle gardait s’en est inquiétée. Elle a même proposé à la nounou de l’accompagner jusqu’à l’école ce jour là. « Il est très clair que le problème de mon père, c’était l’argent » dit encore le fils aîné. L’argent qui manquait en effet pour cimenter une passion dévastatrice.
L’ÉTRANGE ET COÛTEUSE MAÎTRESSE
La déposition de sa maîtresse devant la Cour est édifiante, souvent dérangeante. Ils se sont connus dans le train qui les conduisait de Reims à Paris, où ils allaient travailler tous les jours. Son épouse a souhaité divorcer dès qu’elle a su. « Leurs liens s’étaient distendus, leurs échanges étaient rares, dit-elle, la routine et la lassitude s’étaient installées. » Il choisit donc de vivre avec sa maîtresse, plus jeune que lui de 19 années. Elle élève seule ses trois enfants de 2 à 9ans. « Nous avons vécu un an et demi sous le même toit. Les relations intimes n’étaient plus possibles de mon côté. Je détestais cet appartement, j’ai décidé de m’installer chez moi. » Mais elle ne donne pas son adresse à celui qui continue à contribuer au bien-être de la petite famille. Il fait les courses. Elle passe les prendre chez lui. Et quand il ne peut pas lui verser les 6 ou 700 euros qu’elle attend chaque mois, les SMS s’impatientent. «Tu sais quoi ? Ras le bol ! Si j’avais su que tu allais me planter ce mois-ci… ».
UNE FAMILLE ET UN CHEVAL
Il lui manquait en effet de quoi payer la pension de Texas, le cheval de sa fille. La présidente, la partie civile et même la défense l’interpellent sur ses exigences. Mais rien ne l’ébranle. Elle refuse de répondre aux questions qui l’embarrassent. Elle évoque le caractère gentil, doux, compréhensif, calme, et pétri d’humour de l’accusé. Elle n’aurait jamais imaginé qu’il puisse agresser sa femme. Une bonne paire de gifle éventuellement quand il était à bout, mais pas le couteau dont elle ne connaissait d’ailleurs pas l’existence. La salle est abasourdie. D’une voix enveloppante, elle insiste sur les liens qu’elle a gardé avec l’accusé. « Je continue à le soutenir. » Elle lui a régulièrement rendu visite en prison…. et pour cause. La sœur de Didier Jacquemart révélera un peu plus tard qu’il n’a jamais cessé, y compris pendant sa détention, de la soutenir financièrement. Allant jusqu’à demander le renfort de sa famille pour qu’elle ne manque de rien.
J’AI TROIS ENFANTS À CHARGE
L’absence de remise en cause de l’accusé interpelle les experts autant que la présidente. La prise en compte de la victime, de tout ce qu’il a détruit, n’intervient pas spontanément. Il faut l’y inciter fortement. Ses seules larmes d’émotion, en trois jours d’audience, sont pour sa maîtresse.« J’ai mon couple à construire pour l’avenir. Maintenant j’ai un projet ». Il insiste sur ce bonheur, à presque 60 ans. Il redécouvre l’amour « après une vie terne et banale » dira son avocat . « J’ai moins de certitude sur la sincérité de sa maîtresse que sur celle de l’accusé » ajoute Maître de la Roche. « Elle le quitte mais il doit continuer à payer. » Didier Jacquemart explique aussi qu’il supervise les devoirs de l’aînée en bon père de famille, mais à distance. La peine de 12 années de réclusion dont il vient d’écoper devrait le maintenir en prison pour 3 petites années. Le temps de revenir à la réalité ?