C’est un procés étrange. L’auteur du braquage dont il est question est mort. Le bijoutier de Sézanne qui l’a tué n’est pas poursuivi parce qu’il était en état de légitime défense. Dispensé comme sa compagne par un certificat médical, il ne viendra pas témoigner tant il reste choqué trois ans plus tard. Le complice du vol à main armé est donc seul dans le box des accusés. Drogué par les neuroleptiques, il se balance sur sa chaise quand les débats s’éternisent. Vivant ou mort, les deux voyous multirécidivistes sont en tous cas la cause de souffrances qui pèsent lourdement sur leurs familles comme sur le couple de commerçants.
Le braquage meurtrier avait mobilisé les commerçants de Sezanne et de la France entière, en soutien au bijoutier agressé. Manuel Valls, alors Ministre l’Intérieur, avait fait le déplacement dans la Marne sur fond de trés forte médiatisation. Les accents d’un candidat à la présidentielle y étaient déjà, avec des promesses de sécurité pour les commerçants et la population. Trois ans plus tard, la salle d’audience de la Cour d’Assises est presque vide : le bijoutier n’est pas là et personne n’a jugé utile de venir soutenir l’accusé, à part sa mère. La petite femme voûtée par les épreuves voudrait disparaître sous son foulard noir. Quand elle se laisse approcher, c’est pour dire que ses autres enfants font partie des beurs qui ont réussi, et que ce fils de 36 ans a mal tourné à cause de ses mauvaises fréquentations.
QUINZE ANS DE RÉCLUSION CRIMINELLE
Il faut dire que les occasions n’ont pas manqué durant l’audience, de rappeler ses 47 antécédents au fichier de la police, le premier dés l’âge de 13 ans. Et surtout ses 2 condamnations aux Assises pour braquage, la dernière ici, dans cette salle. Douze ans de réclusion criminelle qu’il finit de purger un mois avant les faits, dans la région parisienne sous bracelet électronique. Au volant d’une Mercedes louée , il se rend régulièrement au Cerf dans le quartier Balzac à Vitry sur Seine. L’établissement, tenu par un repris de justice, est le repère des voyous du 94. C’est là qu’il retrouve celui qu’il a connu en prison, et qui s’effondrera dans le sang aprés avoir tenté de braquer la bijouterie. Il l’attendait dehors, mais quand les choses tournent mal il prend la fuite au volant de la fameuse Mercedes. Le braqueur, mutirécidiviste lui aussi, était armé d’un pistolet « gomme cogne », une arme de défense non létale qui tire des balles de caoutchouc, ce que le bijoutier ne pouvait pas deviner. Son père , un immigré algérien parfaitement inséré, assiste à l’audience. Il s’est constitué partie civile pour avoir accés au dossier et faire savoir que le fils qu’il a perdu a été manipulé. Ce n’était pas un enfant de cœur, loin de là, mais aprés sa denier libération, il n’avait fait aucun faux pas pendant trois ans …et pour cause. Le traitement qu’on lui administrait pour sa schizophrenie, associé à l’alcool et au cannabis en faisait un zombie. Quel a donc été le véritable rôle de l’accusé ? C’était l’enjeu des délibérations. Elles ont conduit les jurés à prononcer un verdict de 15 ans de réclusion, supérieure aux réquisitions de l’Avocat Général. Sans doute ont ils estimé qu’il avait été l’instigateur dans cette affaire, bien plus qu’un simple chauffeur comme il a voulu le faire croire.
UN MORT, ET D’ÉNORMES DÉGÂTS COLLATÉRAUX
La détresse des parents de ces deux voyous plane sur l’audience, celle des victimes du braquage a fait intrusion dans les débats malgré eux et malgré leur absence. Le bijoutier n’a pas été poursuivi pour la mort de son agresseur, mais la Cour aurait souhaité qu’il témoigne ainsi que sa compagne. Les médecins les en ont dispensés, attestant de souffrances psychologiques trés importantes. Les dépositions des experts qui les ont examinés en ont donné la mesure à l’audience. Le couple a pourtant voulu faire face, la boutique n’est resté fermée que 15 jours. Le bijoutier faisait preuve en apparence d’une résilience étonnante, évoquants son traitement antidépresseur du bout des lèvres. C’était son cinquième braquage. Quatre mois plus tôt au même endroit, il avait été violenté et menotté. Cette fois l’adepte du tir sportif a fait usage de son pistolet automatique aprés un corps a corps. Quand il est expertisé, peu de temps aprés le drame, il dit ne rien regretter. Qatre coups sont partis mais il aurait continué si l’arme ne s’était pas enrayée. Le psychologue qui a entendu sa compagne plus récemment fait état de difficultés dans le couple, d’une vie sociale parasitée par le voyeurisme de l’entourage, cequi fausse la spontanéité des relations. Il mentionne un stress post traumatique trés important au point qu’elle évoque sa crainte d’en arriver à se mettre volontairement en danger, car plus rien n’est comme avant.