L’ASSASSINAT D’HÉLÈNE KAHN, UN DRAME ANNONCÉ

En mourant sous les coups de couteau de l’homme qu’elle voulait quitter, ce matin de mars 2017, Hélène Kahn est devenue à 28 ans la 32ème victime de féminicide d’une année qui en a connu 130 en France. Et tandis que s’achevait le procès de son assassin devant les Assises de la Marne, le 18 Novembre 2019, on en dénombrait déjà 136. Comme si rien ne pouvait empêcher ces pulsions meurtrières.

La mort d’Hélène Kahn a été précédée de tout ce qui annonce les féminicides sans pour autant les éviter, nourrissant la culpabilité de la famille mais aussi du gendarme qui avait été alerté…sans agir. Il ne s’en est pas caché à la barre au point qu’on a entendu la Présidente de la Cour d’Assises le remercier pour son honnêteté. Le compte a rebours vers l’assassinat d’une jeune femme à qui le meilleur était promis a nourri trois journées de débats bouleversants, et d’autant plus insoutenables que l’implacable scénario semblait écrit d’avance.

QUAND LE DRAME DEVIENT UN CAS D’ÉCOLE

Yannick Durand n’a pas supporté qu’Hélène Kahn le quitte. Et il est vrai que la plupart des féminicides interviennent au moment d’une rupture et au domicile de la victime. Hélène a été tuée au centre équestre qu’elle dirigeait à Trigny. La jeune femme était en train de nourrir ses chevaux. Elle était arrivée tôt le matin après avoir passé la nuit chez sa mère, pour se protéger de cet homme qu’elle avait pu aimer. Hélène avait vingt ans de moins que lui. Il refusait la séparation. Elle était belle, d’une condition sociale supérieure à la sienne. Elle était « son trophée », ont expliqué les experts à la barre. Il ne pouvait pas accepter de la perdre. Il avait garé sa voiture à 600 mètres de là, puis il l’avait longuement épiée avant de s’approcher d’elle, un couteau dans la poche. D’une voix posée, presque suave, il dira pourtant aux jurés qu’il n’a jamais eu l’intention de la tuer. Quand il s’en est pris à elle, ils sont tombés à terre ensemble. Et il l’a frappée de deux coups de couteau, dont un dans le cœur. Avec beaucoup de force a dit le médecin légiste à l’audience. Le palefrenier prenait son service, elle l’a appelé au secours. Après avoir tenté de les séparer il a vu Hélène perdre son sang pendant que Yannick Durand s’éloignait sur ces mots terribles :

« JE T’AVAIS DIT QUE JE T’AURAIS »

Yannick Durand surveillait Hélène en permanence, il la harcelait. Jusqu’à grimper sur une échelle pour entrer chez elle par effraction en cassant un carreau, avant de se précipiter sur son téléphone portable pour contrôler ses appels. Après cette intrusion terrifiante, Hélène est allée porter plainte accompagnée d’une amie qui, depuis la salle d’attente, a suivi toute la conversation qu’elle a eu avec le gendarme de la brigade de Gueux. Elle raconte aux jurés qu’Hélène en est ressortie avec le sentiment de ne pas avoir été comprise.Yannick Durand a été entendu à son tour. Le gendarme s’est persuadé qu’il avait à faire à une crise de couple banale et passagère, parce que cet homme posé, pompier volontaire depuis 20 ans, ne pouvait pas être violent. Et la plainte a été classée sans suite. Pourtant la machine était en route. Hélène avait peur pour elle autant que pour lui : quand elle lui avait annoncé la fin de leur relation il avait joué la scène de son suicide en faisant glisser la lame d’un couteau sur sa gorge. Alors, la culpabilité s’est ajoutée à l’angoisse.

UNE EMPRISE FATALE

« Elle doutait de son bon droit » a expliqué l’avocat de la famille. Elle voulait négocier une rupture sans drame pour le ménager mais c’est elle qui s’est laissée détruire. Elle avait peur pour lui et peur de lui. Mieux que tous les récits des femmes victimes de violence, les débats du procès ont disséqué le processus  du harcèlement, la montée de l’emprise d’un homme jaloux et possessif, composante à peu près constante de la violence conjugale. L’accusé est un homme “blessé dans son amour propre par une rupture définitivement inacceptable” analyse un psychiatre. Yannick Durand restait en faction pendant des heures, dehors ou dans sa chambre, pour épier celle qui voulait l’abandonner. Hélène était très entourée par ses parents, ses deux soeurs et ses amies. Mais chacun d’entre eux est persuadé de n’avoir pas tout su de ce qu’elle avait subi. “La peur s’est transformée en terreur” dira l’avocat général. La veille du drame sa mère l’a trouvée prostrée dans sa cuisine. Elle chuchotait recroquevillée dans un angle mort de la pièce, pour n’être ni vue ni entendue. Paniquée par l’état de sa fille, elle avait appelé la brigade territoriale de Gueux…où le planton de permanence lui a conseillé de venir porter plainte plus tard. Hélène s’était réfugiée chez elle ce soir là . “Je vais à la gendarmerie et je te retrouve au centre équestre”. Voilà les derniers mots de la mère à sa fille quand elles se sont quittées  le lendemain matin.

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Yannick Durand attendait Hélène à Trigny. “Elle m’a dit dégage, je ne l’ai pas accepté.” Et le couperet est tombé. Pour Hélène comme pour toutes les femmes victimes des violences de leur conjoint. Saura-t-on un jour empêcher ces crimes ?

 

 

Monique Derrien

Reporter puis grand reporter à Radio France de 1987 à 2016. Prix du Grand Reportage de Radio France. Chronique judiciaire régulière et assidue des petits et grands procés : Chanal, Heaulme, Fourniret. Attention soutenue sur les audiences et faits de société et sur la politique, un peu. Parce qu'ils disent presque tout du monde qui nous entoure. Intérêt marqué pour la culture, la gastronomie et le champagne. Celui qui se boit et celui qui a su si bien se vendre jusqu'ici.

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