Bastien Payet avait 23 ans quand on l’a tabassé en plein centre de Reims, à 2 heures du matin. Il ne connaissait pas ses agresseurs. Il leur a simplement demandé de ne pas importuner les deux jeunes filles qui marchaient avec lui dans la rue. Il est mort le lendemain. Aux Assises de la Marne, les trois hommes accusés de ces violences nient tout en bloc. Le témoignage des trois amis qui étaient avec Bastien laisse pourtant peu de place au doute. Et le récit de leur bonheur à jamais brisé a été bouleversant.
L’agression a duré quelques secondes. Un coup de poing fait tomber Bastien Payet au sol. Et les coups de pieds suivent en avalanche, beaucoup au visage. Bastien en mourra le lendemain. Sa mère choisit de quitter la salle d’audience quand le médecin légiste fait son rapport d’autopsie. Les images sont effectivement insoutenables.
NIER, C’EST COMMODE
Les trois hommes jugés pour ces coups mortels avaient entre 19 et 21 ans. Les débats révèlent que les enquêtes qui se sont succédées souffrent de multiples carences, dont l’absence d’images de vidéo surveillance. Le disque dur n’a pas été conservé, et la scène de crime n’a pas été gelée. Adieu les indices ! Six ans après les faits, Oussama Zeroual, Enzo Andolini, et Osman Dogan comparaissent donc libres. Et pour eux la facilité consiste à nier, en revenant ainsi sur les aveux partiels qu’ils ont pu faire pendant l’instruction. La consigne avait d’ailleurs été passée à haute voix après leur arrestation d’une geôle à l’autre, au commissariat : « Trou noir les gars, trou noir ! » Il sera d’autant plus difficile de préciser la responsabilité de chacun dans ces conditions. Malgré leur déni, les traits de ces hommes encore jeunes se figent quand les trois amis qui accompagnaient Bastien font le récit de leur dernière soirée avec lui. Dans la salle bondée, l’émotion est forte. Les parties civiles sont nombreuses, plus d’une trentaine, beaucoup parmi les membres de sa famille. Bastien avait beaucoup de charisme et la présence recueillie de ceux qui l’ont connu en témoigne.
LE RÉCIT DES JOURS HEUREUX
Simon Mouse et sa compagne Cassandre Bliot étaient allés à la Comédie ce soir-là, pour voir « le Retour à Reims », pendant que Cassandre Majewski et Bastien étaient au restaurant. Ces deux là ne se connaissaient pas depuis longtemps. Elle venait de revenir à Reims après ses études. Leur goût pour le slam les a rapprochés. Ce soir-là, Bastien a parlé de tout ce qui comptait dans sa vie. Ses grands parents, son père qui vit à la Réunion et qui lui manque, les délicieux risottos de sa mère…Ensuite, tout le monde s’est retrouvé au Délirium Café. Le récit de ces jours heureux serre le cœur. Ce petit groupe d’étudiants, au seuil de la vie active pour certains, était lié par l’amitié, et par leur admiration partagée pour Bastien. Il est décrit comme quelqu’un de fin, cultivé, bienveillant avant tout. Un slameur triste ou drôle, mais toujours poète. Un garçon solaire. Simon était son ami depuis la terminale. Ils ont fait leurs études de droit ensemble. « On se voyait tout le temps, le slam, le foot, on était fusionnel. Il m’a demandé d’aller avec lui à la Réunion quand il a retrouvé son père. On se disait tout. On se parlait tous les jours. » La compagne de Simon dit qu’il est est devenu un mort vivant, un homme angoissé depuis qu’il a perdu son frère de cœur. « Moi j’ai perdu Simon dit-elle. Je suis tombée amoureuse de lui parce que c’était la joie de vivre. Je l’aime toujours mais il n’est plus le même. »
QUELQUES SECONDES
Cette nuit du 8 au 9 Mars 2019 les quatre amis s’engagent donc dans la rue Jeanne d’Arc quand il sortent du Délirium Café. Bastien et Cassandre ont décidé de rentrer, Simon et sa compagne ont envie de prolonger la soirée au Curt’n, la discothèque toute proche. Avant de se séparer, ils font un bout de chemin ensemble. Les deux jeunes filles marchent devant, elles discutent. Elles se connaissent peu. Elles font connaissance. Elles se faufilent sur le trottoir étroit, en baissant la tête au moment d’enjamber la flaque d’urine répandue par deux hommes qui se soulagent contre une porte de garage…et sans déranger le troisième qui s’appuie sur une voiture, juste en face. « J’en ai vu du harcèlement de rue, mais celui là… J’ai assez d’expérience pour savoir qu’on ne répond pas et qu’on avance…» dit Cassandre Bliot. Simon accélère le pas lui aussi. « J’ai senti le coupe gorge ». Leur discrétion n’empêche pas les réflexions et les gestes salaces. « J’entends Bastien leur dire qu’on n’apostrophe pas les filles comme ça… Ce genre de comportement était insupportable pour lui. » Voilà donc la faute qui fait pleuvoir les coups. « Il n’a pas eu le temps de finir sa phrase ». Le premier coup de poing le met au sol. «La maman de Bastien m’a demandé pourquoi je n’avais rien pu faire insiste Simon». Il comprendrait d’ailleurs qu’elle lui en veuille pour ça. Derrière lui, sur le banc des parties civiles, elle fait non de la tête…même s’il ne la voit pas.
SOUVENIRS D’UN CAUCHEMAR
Simon voit donc ces trois hommes autour de son ami. Il en voit deux, au moins, lui donner des coups de pied. A quelques mètres de là, les filles sont alertées par un souffle rauque, « comme un joueur de tennis vous savez…» dit Cassandre Bliot. Elles se retournent. Bastien est par terre, en train de s’étouffer. «Je ne reconnais plus le visage de Bastien.» Deux des agresseurs prennent la fuite le 3ème donne des coups de pieds dans le torse, et au visage avant de partir. Il revient très vite, cette fois en compagnie d’une jeune femme. Ils sont très agressifs, menaçants quand elle sort son téléphone pour les éblouir. Ils veulent vérifier l’état de Bastien. Il est effectivement très alarmant. Cassandre Bliot rappelle la police qui n’arrive pas. Il faut faire vite. L’agresseur vient de quitter les lieux, il n’est pas loin. Elle leur explique qu’elle saura le reconnaître. Les policiers la prennent avec eux dans leur voiture quand ils arrivent. Oussama Zeroual est interpellé un peu plus loin. Elle le reconnaît, au milieu d’un groupe.
L’ALCOOL EN TOILE DE FOND
Au commissariat, Simon et Cassandre Bliot son placés en cellule de dégrisement. Car oui, cette soirée a été passablement arrosée, pour tous les protagonistes. Quand Simon et sa compagne demandent des nouvelles de leur ami au policiers, les réponses sont évasives. Ils apprendront très brutalement qu’ils vont le perdre, en étant témoins de l’appel téléphonique d’un médecin. Il indique aux policiers qu’il faudra requalifier la procédure. Il ne s’agit plus de violence mais de meurtre. Au deuxième jour de ce procès éprouvant, Cassandre Bliot confirme catégoriquement l’identification d’Oussama Zeroual. «J’ai fait du droit, je suis attachée parlementaire, je sais ce qu’est la justice, je suis formelle. Je veux qu’il reconnaisse, qu’il s’excuse, que ça ne se reproduise jamais. » Le témoignage de la jeune femme pèse très lourd dans un dossier qui manque de preuves matérielles. Mais son taux d’alcoolémie élevé a bien été acté. Il permettra à la défense de mettre sa lucidité en doute. Les avocats des accusés ont manifestement choisi de dégainer cette flèche plus tard, quand l’émotion sera retombée.