100 millions de bouteilles de champagne invendues. Cet effondrement annoncé dans la foulée de la pandémie devrait faire baisser le chiffre d’affaire des champenois d’1,7 milliards d’euros en 2020. Alors ils ont pris les grands moyens. Il y a d’abord eu cette demande des négociants d’un report du paiement des raisins de la dernière vendange qui s’echelonne traditionnellement en 4 versements. Cet arrangement a légitimement secoué les vignerons parce qu’il compromet leurs ressources et donc l’organisation de la vendange à venir. Elle révèle par ailleurs les difficultés inquiétantes des négociants qui sont les acheteurs de leurs raisins.
A quoi s’est ajouté un autre train de mesure quelques jours plus tard, comme pour faire mieux comprendre que la situation est vraiment très grave.
DOUBLE TIRAGE
L’obsession de l’interprofession du Comité Champagne (vignoble et négoce) est d’empêcher la surproduction et la chute des cours qui ne feraient qu’aggraver la crise. La vente des “vins sur latte” (lire par ailleurs : « La champagne veut sauver son trésor de la crise ») a d’abord été suspendue pendant un mois, parce que ces bouteilles sont parfois bradées dans les moments difficiles. La mesure est désormais prolongée jusqu’à fin Juin. Mais surtout, la vendange 2020 sera tirée en deux fois. Cet aménagement, historique une fois encore, a pour objectif de freiner la mise sur le marché des bouteilles issues de la prochaine vendange. Le premier tirage interviendrait comme d’habitude à partir du 1er janvier 2021 pour un volume correspondant à l’estimation des expéditions de 2020. Donc logiquement de quoi remplacer les 170 millions de bouteilles dont la vente est annoncée pour cette année. Il faudra prévoir un rendement de 6000 kg de raisins à l’hectare pour les produire. Ces raisins là seraient payés aux vignerons aux conditions habituelles, c’est à dire en 4 fois sur l’année qui suit. Mais ce rendement historiquement bas fait suite à une baisse de plus de 10% en dix ans. Et il ne suffirait pas à la rentabilité des exploitations viticoles dont le seuil se situerait entre 8000 et 9500 kilos à l’hectare selon les cas. Voilà pourquoi l’interprofession a prévu un rendement complémentaire qui ne serait tiré qu’en janvier 2022 avec cet autre avantage pour les négociants d’en différer une fois encore le paiement au delà de ce second tirage. Et tout pourrait aller pour le mieux dans le monde à haut risque de la Champagne d’aujourd’hui.
DOUBLE RENDEMENT ?
Seulement voilà, même si les partenaires s’échinent à répéter que le quota de la prochaine récolte ne sera pas débattu et fixé avant le 22 Juillet, c’est bien de lui qu’il est surtout question dans les réunions souvent houleuses qui se succèdent. Parce que tous n’ont pas les mêmes besoins en matière première pour pérenniser ou développer leurs entreprises, qu’ils soient récoltants expéditeurs de champagne, négociants acheteurs de raisins ou grandes marques propriétaires de leurs vignes. La Fédération des Vignerons Indépendants (400 exploitants qui élaborent leur bouteilles de A à Z parmi les 5000 producteurs du Syndicat Général des Vignerons), cette fédération réclame pour sa part un rendement à 9500 kilos à l’hectare en deçà desquels leurs exploitations pourraient être condamnées,car -disent-ils- leurs pratiques culturales sont exigeantes et coûteuses. Les indépendants suggèrent donc très fermement, faute d’avoir pu l’obtenir jusqu’à présent, que le Comité Champagne fixe deux niveaux de récolte. Mais l’interprofession leur répond qu’il ne peut y avoir qu’un seul rendement en Champagne et qu’ils pourront acheter à d’autres producteurs les raisins dont ils ont besoin…même si les excédents de leur propre production devaient joncher leurs terres après la vendange. Tant il est vrai que la principe de la “Champagne unique” et parfois solidaire a garanti jusqu’ici le succès insolent de l’appellation. La crise actuelle ravive le débat d’autant plus que la prochaine vendange pourrait être abondante et qualitative.