Quatre policiers de Châlons-en-Champagne ont comparu le 20 Septembre dernier devant le Tribunal Correctionnel pour une affaire de harcèlement sur une jeune collègue. 2 à 5 mois de prison ferme et jusqu’à 5 ans d’interdiction d’exercer ont été requis au petit matin par la procureure, après 15 heures d’audience. Car cet incroyable dossier méritait que la justice prenne son temps. Le jugement a relaxé deux des prévenus, dont le chef de brigade. Les deux autres ont été condamnés à des peines de 4 et 5 mois d’emprisonnement assorties du sursis ainsi qu’à 6 mois d’interdiction d’exercer. Aprés appel des prévenus et du Parquet, trois des policiers, dont le chef de brigade seront rejugés le 11 Mars 2020
Les 4 policiers ont été suspendus quand les faits ont été révélés en Juin. A la barre, ils ont eu tout loisir de décrypter les relations qu’ils ont entretenues avec une adjointe de sécurité saluée d’un « bonjour la grosse » dès son arrivée dans leur service en Mars dernier. Lyne Lasalle était effectivement en surpoids depuis sa grossesse, elle en faisait un complexe, elle l’a dit à ses collègues qui ne l’ont pourtant jamais appelée autrement. « C’était une marque d’affection, ma grosse, c’est comme ça que j’appelle ma fille. Ma grosse, mon gros, ce sont des mots qu’on a l’habitude d’employer. » Va pour ma grosse alors, mais pour tout le reste ? Le seau d’eau sur la tête, les crachats et les chewing gum dans les cheveux, les cacahuètes dans le décolleté, les coups de feutres sur le visage, le faux rapport hiérarchique sur les fautes de la jeune ADS affiché au tableau, les galons découpés, les écussons arrachés ? Et plus salace : » T’as vu la bite que j’ai, si je te la mets tu vas plus pouvoir marcher », tout ça en en moulant son sexe.
BESOIN DE DÉCOMPRESSER
Les réponses des prévenus sont souvent dans le déni, parfois trés structurées, parfois moins, mais manifestement concertées, comme des éléments de langage très travaillés. Lyne est présentée comme une jeune femme de 23 ans qui a son caractère…sans être pour autant une professionnelle exemplaire. On insiste ainsi sur ses fautes d’orthographe ou son manque d’hygiène supposé pour justifier les comportements très discutables de ses collègues. Leurs dérapages sont banalisés : « C’est souvent comme ça dans la police, on a besoin de décompresser…Oui on fait des blagues graveleuses…Dix bonshommes dans une brigade c’est parfois un peu dur, on a un humour cru, mais ça reste bon enfant … Lyne plaisantait comme nous, elle n’était pas en reste… » Vulgaire, elle savait l’être. On l’entend avec ce « tu vas la fermer ta chatte » enregistré sur les smartphones, puisqu’évidemment les blagues sont beaucoup plus drôles quand on en garde les traces. Ces épisodes sont donc revendiqués comme des rituels d’intégration, des bizutages. « Elle rigolait avec nous, et du jour au lendemain elle a déposé plainte. Je ne comprends pas pourquoi on en est là. »
UNE HARCELÉE PARFAITE
C’est vrai, Lyne Lasalle s’est efforcée de s’amuser avec ses collègues. Elle le confirme quand elle arrive à la barre. On est à une heure avancée de la nuit, tous fatigués, mais les raisons de ses sanglots sont ailleurs. « Je les aimais bien, ce qu’ils disent est vrai, je jouais au début. Je ne suis pas vulgaire, mais avec eux je l’étais. Je voulais m’intégrer, je leur faisais des gâteaux, je voulais qu’ils m’aiment. » Très vite elle a éprouvé le besoin de partager son passé douloureux, le suicide de son frère toxicomane, le décès prématuré de son père, le viol qu’elle a subi quelques années plus tôt. « Je rigolais mais c’était nerveux, je faisais semblant et en rentrant je pleurais. » Elle a tenu donc, même après ce 19 Mai où elle est accueillie le matin, plaquée au sol, menottée, traînée dans la geôle des gardes à vue et enfermée. Le chef de brigade filme la scène. Les auteurs affirment que ce sont des pratiques habituelles chez les policiers. Chez Lyne Lassalle elles ont fait monter des envies de suicide. Son compagnon l’a retrouvée un soir seule dans le grenier, une corde à linge dans les mains. A Corentin, son copain d’étude et collègue complice, elle confie heureusement qu’elle à des idées noires. Il en réfère à sa supérieure qui la fait aussitôt désarmer. La défense à l’audience veut prouver que l’évocation du suicide, comme la plainte qui arrivera plus tard, n’ont d’autre but que d’obtenir une mutation à Saint Dizier où elle habite avec son compagnon et sa petite fille. Ces joutes de prétoire veulent insidieusement balayer les ravages du harcèlement. Il est vrai que les drames que Lyne a connus pourraient à eux seuls expliquer son mal-être. Et on se prend à douter. Ne serait-elle pas douée pour le malheur et les complications ?
ET SOUDAIN, L’HISTOIRE DEVIENT BELLE
Il est plus de minuit et c’est à la seconde victime de s’exprimer. Antoine Dehaez est gardien de la paix au commissariat de Châlons-en-Champagne. Lui non plus ne s’est jamais intégré au groupe. Mais il a sans doute résisté mieux que Lyne aux blagues salaces de ses collègues. « Tu veux bien essuyer ma goutte ? » quand la patrouille s’arrête au bord de la route pour satisfaire ses besoins. Il y a aussi ce gag de l’hélicoptère consistant à faire tourner son pénis à la manière d’une hélice. Antoine a déja une belle carrière derrière lui, dans la marine avant la police. « Mais jamais de ma vie je n’ai vu ce qui s’est passé à Châlons. C’est quoi cette histoire de photographier ses excréments pour les comparer, ou de tondre les gens pour leur pot de départ ? » Il évoque là les déboires d’un autre collègue, attaché en caleçon à une chaise et rasé malgré lui parce qu’il venait d’être reçu à son concours. « J’ai été happé par cette ambiance de brigade malsaine, dans un schéma trés pervers. J’en parlais le soir à ma compagne et elle me disait que non, ça n’était pas normal. » Au commissariat il avait assisté aux coups de règles en fer sur la cuisse de la jeune femme. Elle avait eu très mal. Il l’observait se rongeant les ongles, « plus blanchâtre que jamais ». Il était persuadé qu’elle allait mettre fin à ses jours si on ne faisait rien. Il en parlait autour de lui mais ses craintes s’exprimaient dans le vide. Sa compagne, à qui il rend hommage à plusieurs reprises, a donc proposé de faire venir Lyne chez eux, de la mettre en présence d’un ami gendarme. Elle a fini par lui parler, et tout est allé très vite. Lyne Lasalle a été mutée à Saint-Dizier ou son supérieur hiérarchique n’a pas à se plaindre d’elle. Le fait que ses anciens collègues risquent la prison n’apaise pas vraiment la jeune femme. Elle attendait surtout qu’ils reconnaissent les faits et qu’ils s’en excusent, ce qui n’est pas arrivé. Pourtant la procureure, dans son réquisitoire, a affirmé qu’elle la croyait. C’est ce qui l’aide à tenir.
Le jugement prononcé le 9 Octobre a relaxé deux des prévenus, dont le chef de brigade. Les deux autres ont été condamnés à des peines de 4 et 5 mois d’emprisonnement assorties du sursis ainsi qu’à 6 mois d’interdiction d’exercer, mais leurs avocats ont fait appel. Le Parquet a quant a lui interjeté appel de la relaxe du chef de brigade. Trois des prévenus sur quatre seront donc rejugés.