Le psychologue Mickaël Morlet-Rivelli est expert auprès des tribunaux. Il exerce à Reims. Sa récente expertise de Monique Olivier, en collaboration avec Olivier Dodier et Julie Gondrexon, a fait grand bruit. L’ex épouse et complice du tueur en série Michel Fourniret n’aurait pas, selon lui, l’intelligence très supérieure qui lui a été attribuée par deux experts français en 2005. Il conteste très fermement la validité de leur méthode qui ne serait pas scientifique. C’est pourtant le rapport de ce tandem qui a fait oublier la toute première expertise de Monique Olivier. Les conclusions des psychologues belges qui en sont les auteurs, sont très proches de celles du rémois, vingt ans plus tard. Car leur démarche scientifique est aussi la sienne. Pour le praticien rémois, ce dossier emblématique est une occasion de militer publiquement pour que les psychologues soient contraints par la loi d’adopter une approche plus scientifique dans leurs expertises.
Devant le jury de la Cour d’Assises des Hauts-de-Seine, en décembre dernier, la déposition de Mickaël Morlet-Rivelli a duré 4 heures. Elle s’est achevée à minuit après une présentation précise et transparente de sa méthode de travail. On a voulu l’interrompre du côté des parties civiles, mais le Président Didier Safar lui a laissé toute latitude. À la faveur de cette intervention très attendue, le psychologue et chercheur voulait aussi sensibiliser le monde judiciaire autant que les médias aux mauvaises pratiques trop répandues en matière d’expertise psychologique.
SCIENCE ET PSYCHISME
Les travaux de sa thèse de doctorat en psychologie légale se partagent entre la France et le Canada. Et il déplore que dans son pays la psychologie soit tenue à l’écart de la science. «La majorité des gens pense qu’on ne peut pas faire de la science avec le psychisme humain, qu’on ne peut pas mesurer les phénomènes cogntitifs et comportementaux, que c’est mal de le faire parce qu’on va inhiber la subjectivité de la personne pour la rentrer dans des cases.» Pour le trublion rémois, ce discours serait idéologique. Il serait lié au fait qu’en France la psychologie s’est développée parallèlement à la psychanalyse, «quintessence de la démarche non scientifique parce qu’elle a toujours refusé de se mesurer à la science ». La psychologie scientifique existait pourtant avant Freud. L’approche clinique à la française fait qu’”on se retrouve avec autant d’avis que de psy sur la personne expertisée. Toutes les interprétations sont possibles.”
DES ENJEUX MAJEURS
Mickaël Morlet-Rivelli milite donc pour que les expertises s’inscrivent dans une démarche scientifique s’appuyant notamment sur la psychométrie. S’ajoutant à l’observation clinique, c’est elle qui permet de mesurer par exemple l’impulsivité, les troubles de l’attention, le QI, les distorsions cognitives chez les agresseurs sexuels… On éviterait ainsi les biais cognitifs (distorsion dans le traitement de l’information, vision du monde teintée par le vécu, etc…) qui menacent tous les experts. C’est aussi ce qui permet de réduire la marge d’erreur. L’affaire est sérieuse parce que l’expertise prend de plus en plus en plus de place dans les décisions des juges. Elle est dans toutes les étapes de la chaîne pénale. Elle intervient sur le placement des enfants, la reconnaissance du statut de victime, sa crédibilité, et même le quantum de la peine quand l’expert est chargé d’évaluer le risque de récidive d’un accusé.
IL Y A PSYCHOLOGUE… ET PSYCHOLOGUE
« L’examen clinique n’est pas forcément mauvais, mais une approche structurée, moins intuitive, donne plus de chance de ne pas se tromper » dit le doctorant. En 1993 la Cour Suprême des États Unis a exigé que les experts apportent la preuve de la « scientificité » de leur méthode selon des critères bien précis. C’est le fameux arrêt Daubert. Et l’expertise ne devient recevable qu’à la condition de s’y soumettre. Pour l’instant, en France, l’expert est totalement libre de sa méthode. « Je pense que les choses ne changeront pas tant que le législateur ne s’emparera pas de la question » » A partir de là, dans un monde judiciaire idéal, l’avocat pourra demander à l’expert de justifier scientifiquement ce qu’il avance. « Mais le vrai problème, c’est avant toute chose la formation des psychologues » ajoute Mickaël Morlet-Rivelli qui ne craint pas, décidément, de s’attirer les foudres de la profession. Le débat a pris tout son sens avec le récent procès de Monique Olivier.
MONIQUE OLIVIER, UN CAS D’ÉCOLE
En 2005, les expertises du binôme Ployé-Herbelot lui attribuaient un QI de 131, score faramineux d’une intelligence supérieure. Seulement voilà, les images diffusées dans le documentaire que Netflix lui a récemment consacré on fait bondir le chercheur Morlet-Rivelli. La feuille de notation qui apparaît à l’écran correspond à un test obsolète. Pour les experts belges qui ont précédé les français d’une année, le QI de Monique Olivier se situait dans une moyenne basse, autour de 95. Au point qu’on a pu ironiser sur les méthodes belges durant le premier procès de Monique Olivier, à Charleville. L’épisode a d’ailleurs laissé un souvenir cuisant aux experts concernés, dont Gauthier . Il a tenu à s’en souvenir devant le jury de Nanterre. LIRE PLUS ICI « Un tel écart sur un QI est tout à fait impossible quand l’approche est rigoureuse. Le rapport Ployé-Herbelot aurait été invalidé, si leur méthode avait été vérifiée,“ commente le rémois. Aucune des nombreuses expertises qui ont suivi ne se sont intéressées à ce fameux QI. L’intelligence supérieure et forcément diabolique de Monique Olivier était acquise pour tout le monde.
UN AUTRE REGARD
Au delà d’un QI très proche des résultats belges superbement ignorés jusqu’ici, l’expertise de Mickaël Morlet-Rivelli conclut à des troubles de la personnalité dépendante et évitante chez Monique Olivier. L’argument de la peur n’a pourtant pas été retenue par la Cour d’Assises : elle n’était pas une femme battue, ce qu’elle a toujours reconnu. Mais l’expert se plaît à rappeler que la majorité des violences conjugales sont en réalité psychologiques. Entendue comme témoin au cours du précédent procès du couple Fourniret, une ex épouse de Michel Fourniret a d’ailleurs très bien évoqué la terreur qu’il était capable d’exercer, sans porter de coup. “On a reproché à Monique Olivier de ne pas s’enfuir, mais s’est-on assez intéressé au contexte social ?” demande Morlet-Rivelli. Selon lui, la fuite était sans doute bien plus compliquée pour elle que pour n’importe quelle des femmes qui cherchent à fuir leur conjoint. “Mais ce qu’elle a fait est tellement horrible qu’on ne s’autorise pas à la comprendre.”
UN DEVOIR DÉMOCRATIQUE
Après le procès de Monique Olivier, Mickaël Morlet Rivelli s’est abondamment exprimé dans les médias sans craindre de fustiger les méthodes de ses confrères, au point de recevoir un avertissement de ses pairs. Mais il ne desarme pas. “Je souhaite qu’un juge puisse rendre un jugement le plus objectif possible, ce qui suppose une expertise la plus fiable possible. Ce n’est pas le cas actuellement. La plupart des expertises psychologiques ne s’appuient pas sur une démarche scientifique. C’est un devoir démocratique et républicain de le dénoncer.” Monique Olivier a été mise en examen il y 3 ans dans l’affaire Lydie Logé, une jeune mère de famille disparue en 1993 dans l’Orne. Elle devra tenter, une fois encore, de raviver ses souvenirs dans un prochain procès. A Nanterre les familles des victimes ont vécu la frustration de son silence, convaincues qu’elle ne dit pas tout. “Mais a-t-elle encore quelque chose à dire ?” s’interroge l‘expert dont elle buvait les paroles à Nanterre.