ENTENDRE ET PARLER POUR LES SOURDS

Cette plateforme très spéciale emploie des sourds muets capable de répondre aux sourds muets qui les contactent par l’application Sourdline. Après avoir ouvert un premier centre d’appel de 20 salariés à Colombes, l’objectif de Caroline Mitanne est de créer une dizaine d’emplois à Bezannes. Nouvelle étape d’un parcours qui transforme une histoire vécue, et parfois douloureuse, en un vrai métier. Car Sourdline est née de l’expérience d’une enfant née de parents sourds.

D’aussi loin qu’elle se souvienne, Caroline Mitanne a pris la parole pour ses parents comme Louane le fait dans “La Famille Bélier”, le film qui l’a rendue célèbre. “Je ne chante pas aussi bien qu’elle, commente la jeune femme, mais j’ai été confrontée exactement aux mêmes situations. Ça a été tellement douloureux quand j’étais petite, jusqu’à ce que je commence mes études. J’ai réussi à transformer la douleur, à me rendre utile.” La nécessité de faciliter les échanges des sourds avec l’administration, le médecin ou le plombier s’est imposée très vite à celle qui est aujourd’hui la PDG de Sourdline. Après des études de gestion Caroline Mitanne a créé en 2004 une société qui permettait aux sourds de s’abonner au service qu’elle voulait leur rendre : elle téléphonait à leur place. “Ce que je faisais pour mes parents je le faisais pour les sourds. Ils prenaient le coût de la communication en charge.” Mais le concept a très vite trouvé ses limites : l’appel pouvait durer très longtemps quand il s’adressait au service client d’une enseigne, ce qui en faisait exploser les coûts.

LE SOURD RÉPOND AU SOURD

Il a donc fallu inverser les choses, imposer l’idée que c’était bien aux enseignes de prendre leur accessibilité en charge avec des conseillers capables de répondre aux sourds. Voilà comment Sourdline est née en 2008, comme un outil qui favorise autant  la communication des sourds que celle des entreprises. En cliquant sur l’application Sourdline l’appelant sourd peut ainsi entrer en relation avec des interprètes en langue des signes qui font l’interface avec les entreprises. C’est ce schéma qu’elles choisissent le plus souvent parce que c’est le plus simple. Mais le client sourd peut aussi échanger avec les conseillers sourds que Sourdline a spécifiquement formés au métiers de l’enseigne. Ces conseillers répondent directement par webcam ou par tchat. Cette fonction de vidéo conseiller qu’elle a créée, Caroline Mitanne veut la développer parce qu’elle favorise l’insertion des sourds et des malentendants. Sur la plate forme de Bezannes elle tient à privilégier le bassin d’emploi de Reims et de sa région qui compte plus de 400 familles sourdes. C’est bien à Reims qu’a lieu tous les deux ans le festival international des arts en langues des signes (Clin d’oeil du 1er au 4 Juillet 2021). Deux postes de vidéo conseillers ont donc été créés à Bezannes. Caroline Mitanne en annonce une dizaine d’ici deux ans. Le potentiel de développement est énorme. Aujourd’hui une cinquantaine de sociétés sont accessibles aux sourds, mais depuis deux ans, toutes celles qui atteignent un chiffre d’affaire de 250 millions doivent se soumettre à cette obligation. Ce qui représente un millier d’enseignes. Et à partir du 7 Octobre prochain les communes de plus de 10 000 habitants devront elles aussi se conformer à cette réglementation .

 

BUSINESS ET HUMANITÉ

“Avant la loi, commente Caroline Mitanne, quelques sociétés comme Leclercq ou Canal + se sont engagées avec enthousiasme. Maintenant que la loi existe on découvre des enseignes qui traînent des pieds, qui ne veulent pas aller plus loin que la stricte réglementation.” Pourtant malgré les réticences, la prise en compte du handicap n’est plus un tabou. “Autrefois j’y allais en essayant de sensibiliser les personnes aux difficultés de la surdité, aujourd’hui je leur dis qu’ils n’ont pas le choix et que les retombées commerciales sont importantes. Je suis obligée de parler comme ça.” La petite fille de parents sourds explique qu’elle fonctionnait plutôt sur un mode associatif à ses débuts. Mais aprés le Prix Veuve Clicquot de la Femme d’Affaire, qu’elle a reçu en 2009, il a bien fallu s’habituer à parler business, ce qui a pris un certain temps. “Mais il faut parler comme ça. C’est du business et il n’ y a pas de honte à avoir. C’est toute ma vie , j’ai pas peur de le dire. J’ai  vraiment envie de pousser toutes les portes, et ça fait longtemps que ça dure et à chaque rendez vous ce qui m’étonne c’est que c’est la première fois que je raconte mon histoire que je parle de mes parents. Je m’étonne d’avoir toujours cette passion. Le sujet est devenu stratégiques dans les entreprises, mais il n’est souvent pas prioritaire et moi je voudrais qu’il le devienne. Je n’ai pas envie qu’on nous oublie parce que si on nous oublie ca veut dire qu’on oublie aussi les sourds.

Monique Derrien

Reporter puis grand reporter à Radio France de 1987 à 2016. Prix du Grand Reportage de Radio France. Chronique judiciaire régulière et assidue des petits et grands procés : Chanal, Heaulme, Fourniret. Attention soutenue sur les audiences et faits de société et sur la politique, un peu. Parce qu'ils disent presque tout du monde qui nous entoure. Intérêt marqué pour la culture, la gastronomie et le champagne. Celui qui se boit et celui qui a su si bien se vendre jusqu'ici.

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