Aurélien* était un élève agité, perturbateur. Il n’avait jamais joué d’un instrument ni fait de solfège. Et pourtant, quelques semaines aprés avoir été retenu pour faire partie de l’orchestre DEMOS de Reims, il commençait à jouer du hautbois. DEMOS signifie « Dispositif d’Education Musicale Orchestrale à vocation Sociale », un projet de démocratisation de la culture qui se met en oeuvre dans les quartiers relevant de la politique de la ville ou dans des zones rurales, là où les institutions culturelles sont trop rares.
Aurélien fait la preuve que ce dispositif lancé par la Philarmonie de Paris il y a huit ans est une belle entreprise. 2000 enfants en bénéficient déjà gratuitement** dans une trentaine de villes. A Reims c’est Michel Fallon qui a été missionné par la municipalité et la Philharmonie pour coordonner l’opération. Six mois aprés son lancement, en janvier dernier, il s’emerveille toujours de l’adhésion qu’elle a suscitée. « Il fallait trouver 105 élèves de primaire n’ayant aucune connaissance musicale, c’est le premier critère de la Philharmonie. Il fallait ensuite s’assurer d’une trés forte mobilisation de ces enfants, parce que la formation s’étale sur 3 ans. Certains directeurs d’écoles se sont montrés sceptiques mais le bouche à oreille a fonctionné et ça a trés bien marché. « Le choix s’est fait dans les écoles désignées par la municipalité et les maisons de quartier, là où la culture et en particulier la musique ne sont pas très présentes. Les enseignants et les animateurs qui côtoient les enfants dans leur environnement quotidien se sont concertés pour repérer les bons profils, sans aucune intervention du Conservatoire qui est pourtant le porteur pédagogique du projet. Il fallait aussi que les parents soient trés impliqués pour soutenir les futurs musiciens. « Si l’enfant est livré à lui même, commente Michel Fallon, ça ne fonctionne pas. Et on est assez surpris : le futur orchestre philharmonique s’est constitué. On est en train de créer une culture DEMOS et on pense que des petits talents vont émerger, c’est inévitable. » Les familles sont associées à la démarche avec les écoles. Les enseignants et les animateurs travaillent ensemble. Sur une trentaine d’intervenants artistiques, danseurs,chanteurs, musiciens, 8 sont des professeurs ou élèves de fin d’études du Conservatoire. Les maisons de quartiers sont les piliers du dispositif, elles accueillent les ateliers instrumentaux qui fonctionnent en binôme ou trinôme avec un chef de chœur ou un danseur, sur le temps périscolaire. Il n’est pas question de solfège en première année, la pratique musicale se fait progressivement par la musique, le chant et la danse. L’instrument n’arrive qu’après six semaines. Michel Fallon se souvient de l’impatience d’Aurélien, finalement apaisée par la promesse du hautbois qu’on allait lui confier, cet instrument qui dans l’orchestre passe au dessus des autres. « C’était une grande responsabilité pour celui qu’on avait repéré comme le trublion de la classe. On s’est demandé si on pourrait le garder, mais la professeure de hautbois a voulu persévérer, elle était confiante. Aujourd’hui, Aurélien n’est plus celui qui pose des problèmes. Quand il passe avec son plateau à la cantine, il est le petit DEMOS qui joue du hautbois, et ça change tout. »
DEMOS fonctionne sans examen, sans concours, personne n’en est écarté. Tous les enfants restent sur les trois années de ce cycle de formation, ce qui garanti des acquis solides à chacun d’entre eux. Tous sont suivis de très près par les adultes, professionnels ou parents, ils sont considérés, et c’est ce qui fait qu’ils accrochent. Ils ont été les invités de marque des Flâneries Musicales pour la répétition de l’orchestre symphonique des jeunes de Macao, avec Jean Philippe Collard au Cirque de Reims. Leur vie n’est plus la même. Selon les statistiques de la Philharmonie, 50% des enfants continuent dans des cycles musicaux classiques. Reims est la plus récemment engagée dans ce processus de démocratisation culturelle. Strasbourg sera la prochaine à y entrer. Laurent Bayle, le directeur de la Philharmonie, qui a imaginé cette approche novatrice de la musique , annonce 75 DEMOS en France dans les 3 prochaines années. La révolution DEMOS est en marche.
*Prénom d’emprunt
** Le financement de DEMOS est assuré à part égale par le mécénat privé -dont la SANEF-, le Ministère de la Culture, et les collectivités d’accueil pour un montant annuel de 345 000 Euros