Dans la petite école de Sermiers , près de Reims, elle était seule même dans la cour de récréation, face à une classe de 3 niveaux, du CP au CE2. Elle était isolée, les autres enseignants de l’établissement étaient loin, à de 500 mètres de là. La professeure des écoles qui l’a remplacée a refusé d’accepter plus de 2 niveaux dans sa classe. Pas elle. Il lui est arrivé d’en assumer 4 parce qu’elle tenait à faire face à la situation : entre 15 et 22 élèves de 6 à 8 ans, dont certains pouvaient être turbulents. Voilà comment son exigence a pu prendre une forme brutale. C’est ce qu’on dénoncé certains parents d’élèves. Une dizaine d’entre eux ont porté plainte tandis que d’autres faisaient circuler une pétition pour la soutenir. Beaucoup de ceux là ont d’ailleurs tenu à assister à son procès pour lui manifester leur solidarité. Parce que celle qu’on jugeait voulait être avant tout une bonne institutrice. Son perfectionnisme n’est d’ailleurs pas contesté par le Tribunal Correctionnel de Reims.
ACHARNÉE, AU DÉTRIMENT DES ÉLÈVES
Une perquisition à son domicile a révélé qu’elle travaillait beaucoup chez elle pour donner le meilleur à sa classe mais « cet acharnement au travail s’est installé, ajoute le Président, au détriment des enfants. » Et ce perfectionnisme l’a poussée à des gestes d’autant plus inacceptables qu’ils se sont répétés sur quelques élèves et pendant 4 années, de 2014 à 2018. La tirette à rideau était devenue une baguette qui, d’un petit coup, servait à rappeler les plus turbulents à l’ordre. Ils pouvaient aussi recevoir des coups de cahier, des coups de pieds aux fesses ou des claques derrière la tête. A moins qu’ils ne soient muselés par un scotch ou symboliquement attachés par un élastique sur leur chaise. « Ce n’étaient pas des gestes violents, dit l’institutrice manifestement détruite par les poursuites qui ont été engagées contre elle. Je n’ai jamais voulu blesser ni faire de mal. » La procureure en convient, « elle avait un désir réel d’en faire des enfants parfaits« . Mais le réquisitoire n’en est pas moins sévère. « Ce n’étaient pas des passages à tabac, mais il y a bien eu une répétition quotidienne de petits faits, de brimades et de violences psychologiques. » Les expertises de certains des enfants attestent d’ailleurs de séquelles préoccupantes : nervosité, tristesse, manque de confiance en soi, troubles du sommeil. Quatre plaignantes sur dix assistent à l’audience. Des mères qui attendent surtout de pouvoir dire à leurs enfants qu’ils n’étaient pas responsables des traitements qu’ils ont subis. L’institutrice est condamnée à 3 mois de prison avec sursis mais on ne lui interdit pas d’enseigner, et le jugement ne figurera pas sur son casier judiciaire.
LE CAS N’EST PAS ISOLÉ
Irène Désjardin, la co-secrétaire du SNUIPP de la Marne est à ses côtés parce que cette histoire est ,selon elle, révélatrice de l’insécurité dans laquelle se trouvent « les enseignants totalement démunis face à des élèves hautement perturbateurs ». C’est ce qui les pousserait à des comportements inappropriés. Elle a suivi le procès de bout en bout. « Ca arrive fréquemment, sauf que ça ne se règle pas devant les tribunaux. Nous alertons régulièrement l’inspecteur d’académie. J’aurais pu être à sa place, ajoute la syndicaliste. J’ai la chance d’avoir des collègues autour de moi. Elle n’a pas eu cette chance. Ce n’est pas normal qu’on ait pu en arriver là. Elle était complètement isolée géographiquement et humainement. Tous les autres enseignants ont demandé leur mutation. Elle a tenu à ce poste pendant 20 ans et ça s’est bien passé. Je trouve que le traitement qu’elle a subi est très dur. On devrait nous donner les moyens de ne pas en arriver là. C’est de la responsabilité de notre employeur. On fini par adopter des comportements condamnables pour essayer de maintenir un climat d’apprentissage »