CHAMPAGNE : DE LA CRISE ÉCONOMIQUE À LA CRISE INTERNE

Tout tourne autour du niveau des rendements des vendanges, et ce n’est pas la première fois. La Fédération Régionale des Vignerons Indépendants de la Champagne (402 adhérents qui élaborent leurs champagnes de A à Z avec leurs raisins) reprochent au Syndicat Général des Vignerons de ne pas défendre leurs intérêts. Notamment en acceptant depuis plusieurs années une baisse des rendements qui serait dictée par les négociants et les coopératives.

L’objectif du Comité Champagne (vignerons et négoce) depuis que les expéditions de champagne ont commencé à se tasser voilà une quinzaine d’année, c’est d’abord d’éviter la surproduction. Et cette capacité des champenois à doser subtilement le niveau de leur production est bien une référence dans le monde viticole. Seulement voilà, le COVID leur inflige cette année une crise sans précédent. Le manque à gagner pourrait être de 100 millions de bouteilles, soit un bon tiers des expéditions escomptées en 2020. La logique économique imposerait ainsi pour les trois vendanges à venir un rendement bien inférieur à ces 9000 kilos à l’hectare revendiqués comme le seuil minimum de rentabilité de leurs exploitations par les vignerons producteurs de bouteille. Selon la fédération des indépendants, c’est en raison de cette asphyxie que le nombre des « récoltants manipulants » a d’ailleurs diminué de près d’un quart en dix ans.

UNE QUESTION DE SURVIE

Yves Couvreur, le président de la Fédération des Vignerons Indépendants va même jusqu’à revendiquer un rendement à plus de 10 000 kilos, comme une bonne moitié de ses adhérents…En vain, puisque le SGV continue de lui refuser de siéger au bureau exécutif du Comité Champagne, là où se décide justement le niveau des rendements. C’est ce qui motive ce mot d’ordre de leur fédération aux vignerons indépendants d’un gel du paiement de leur cotisations au SGV jusqu’au 22 Juillet. C’est la date à laquelle l’annonce des rendements 2020 par le Comité Champagne tombera comme un couperet. L’action est symbolique, mais “grave et surtout inadaptée à une période qui demande de se serrer les coudes” dit Maxime Toubart. Le président du SGV martèle qu’un syndicat doit travailler pour l’intérêt collectif, qui n’est pas une somme d’intérêts individuels”.

“LES INDÉPENDANTS NE SONT QU’UN CLUB “

Et il rappelle que les vignerons indépendants sont “un club de 400 vignerons sur 18000, sans existence au sein de l’interprofession. Je suis bien conscient, poursuit-il de l’importance des vignerons producteurs de champagne mais ceux qui vendent leurs raisins aux négoce méritent eux aussi toute l’attention du syndicat.” Le patron du SGV suggère ainsi aux producteurs qui pourraient manquer de raisins si les rendements étaient trop bas, de renoncer à vendre un partie de leur récolte aux “grandes marques”, comme ils le font souvent. Ce qui leur permettrait de produire les volumes qu’ils réclament… mais non sans perdre le bénéfice de la vente de leur raisin,  et c’est là que le bât blesse. La division est en réalité très profonde*. Quand les indépendants revendiquent des pratiques culturales qualitatives et donc coûteuses, Maxime Toubart parie sur une évolution globalement vertueuse et déjà très engagée du vignoble champenois. Parce que “une filière ne se pilote pas en fonction des modèles d’exploitation de chacun”.

NÉCESSITÉ ÉCONOMIQUE ET QUALITÉ

Pourtant Yves Couvreur n’en démords pas. Il fait valoir que les rendements faibles annoncés sur les trois prochaines années ont pour seul but de réduire les stocks (qui immobilisent des capitaux considérables ndlr). A cette analyse économique le président de la Fédération des Vignerons Indépendants aurait préféré qu’on choisisse l’approche qualitative en optant pour un allongement du temps de garde des bouteilles, ce qui les bonifie comme on le sait. Mais c’est oublier les graves difficultés de certains négociants. Ils étaient sur la corde raide avant le Covid, ils risquent fort de ne pas résister la pandémie. Les mesures historiques qui viennent d’être  prises pour étaler le paiement des raisins à leurs fournisseurs sont venues le rappeler. Acheter la matière première devient problèmatique.  Voilà pourquoi beaucoup de raisins resteront au sol cette année, alors que la récolte pourrait être exceptionnelle en quantité et en qualité.

*Au point que le 29 mai 2020 les indépendants  annoncent même dans un communiqué de presse qu’ils quittent le siège du SGV d’Epernay en ces termes :
« LES VIGNERONS INDÉPENDANTS QUITTENT LE SIÈGE DU SGV :  Après avoir passé plus de 27 ans au sein de la structure du SGV, la Fédération des Vignerons Indépendants de la Champagne, de part ses prises de position sur le gel des cotations dans le cadre de l’appellation de la vendange 2020, s’est vu refuser la mise à disposition du personnel et des moyens généraux. Il lui a été priée de quitter les locaux sous 3 jours si la Fédération ne revenait pas sur ses positions.
Devant cette ultimatum, le Conseil d’Administration a décidé d’organiser le déménagement et de quitter le 17 avenue de Champagne ce mardi 30 juin 2020. »
 

Monique Derrien

Reporter puis grand reporter à Radio France de 1987 à 2016. Prix du Grand Reportage de Radio France. Chronique judiciaire régulière et assidue des petits et grands procés : Chanal, Heaulme, Fourniret. Attention soutenue sur les audiences et faits de société et sur la politique, un peu. Parce qu'ils disent presque tout du monde qui nous entoure. Intérêt marqué pour la culture, la gastronomie et le champagne. Celui qui se boit et celui qui a su si bien se vendre jusqu'ici.

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