Le QG des frères Kouachi, c’était juste en face, à quelques mètres. Au Collège Joliot Curie de Reims personne ne peut oublier l’assaut du RAID ce matin de Janvier, ni les attentats de 2015. Cinq ans plus tard l’assassinat de Samuel Paty a pu réveiller des souvenirs douloureux pour certains enseignants. Mais la haine n’a pas eu de prise sur les 430 élèves du collège. L’hommage au professeur d’histoire s’est déroulé dans un silence… « religieux ». Car bien plus qu’une règle, le vivre ensemble est ici une habitude.
Visiter le collège Joliot Curie de Reims, c’est passer devant des classes aux portes grandes ouvertes, comme pour afficher la transparence de ce qui s’y joue. C’est aussi suivre le pas (rapide) de François Millard-Ranou. Chemin faisant, le principal a un mot pour tous ceux qu’il croise, précisant à l’occasion qu’il peut s’adresser à chacun de ses 430 élèves en l’appelant par son prénom, d’où qu’il vienne. De Guyane, d’Haïti, d’Afrique Noire, du Moyen Orient, ou des pays de l’est. La communauté arménienne est la plus importante mais les classes regroupant une trentaine de nationalités sont ici la norme.
MIXITÉ, LAÏCITÉ
La découverte de l’établissement comprend donc un passage obligé devant une mappemonde qui restitue la trajectoire de chaque collégien, depuis son pays d’origine jusqu’à ce havre de tolérance et d’exigence, dans le quartier Croix Rouge. Avec ou sans leurs parents, ils ont fui la misère, l’oppression ou les menaces. “On est dans le vivre ensemble au quotidien commente François Millard-Ranou. Je n’ai jamais eu d’incident qui soit lié à une communauté.” Le respect de la laïcité pose moins de problème quand 6 religions se côtoient.Les catholiques, les musulmans avec 4 formes d’islam et les évangélistes qui sont les plus nombreux dans l’établissement. »
“Tous mes cinquième ont visité la synagogue, la cathédrale et la mosquée.Depuis mon arrivée en 2017, le seul problème sur le fait religieux est venu de catholiques qui ne voulaient pas que leurs enfants visitent la mosquée.” Cette harmonie presque parfaite est évidemment le résultat d’un travail au long cours de toute l’équipe pédagogique.
LIBERTÉ D’EXPRESSION
Symboliquement, avec l’ouverture du procès des attentats de 2015 les enseignants avaient reprogrammé tout ce qui concerne la liberté d’expression pendant les cours d’Éducation Morale et Civique. Les échanges ont porté sur les caricatures de Mahomet ou de Jésus au même titre que sur celles de Macron.”On a expliqué qu’ils avaient le droit de se sentir blessés quand on attaquait leur religion, mais que la loi française l’autorisait. Sans aucun incident, ajoute le chef d’établissement, comme au moment de l’hommage à Samuel Paty. Ce qui nous protège c’est ce mélange »
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Sur la ZEP du quartier Croix Rouge l’afflux récent de nouvelles vagues migratoires des pays de l’est fait évoluer la problématique de l’intégration à long terme. Les tchétchènes par exemple ont vécu dans la résistance et la violence depuis 50 ans. Le débat contradictoire n’est pas dans leur culture. Il devront pourtant s’y faire comme tous les collégiens. Toutes les occasions sont bonnes à Joliot Curie pour s’enrichir de cette mixité : inventer le blason qui raconte son pays en art plastique, trouver un conte issu de sa culture d’origine pour venir le partager en expression orale. L’objectif est de travailler sur le langage pour canaliser l’émotion autrement que par la violence. Le Père Noël devra s’y coller, lui aussi, pour souhaiter une bonne fin d’année aux élèves à la veille des vacances. Son costume est prêt. Il a été cousu sur place…juste à la taille de François Millard-Ranou, puisqu’il s’est engagé à tenir ce rôle.