Le soutien aux soignants qui s’exprime chaque soir aux balcons du pays est un baume. Mais leur mise en danger permanente est si éprouvante que les psychiatres de la Marne ont décidé d’organiser à leur intention une permanence d’écoute et d’accompagnement bénévole. Le suivi de leurs patients habituels se poursuit par ailleurs à distance. Ces consultations d’un nouveau genre ouvrent parfois des perspectives.
Pendant la crise sanitaire, les séances continuent ….sous la forme de téléconsultation. Avec ou sans image, elles remplacent les rendez vous au cabinet.
Et ces échanges à distances peuvent être très riches comme le relève le psychiatre rémois Thierry Delcourt.
PRENDRE SOIN DE L’AUTRE
“On y aborde souvent des choses qui ne sont pas évoquées au cabinet. Parce que cette fois le soignant et le patient subissent la même situation de confinement, ce qui crée une forme de complicité. Je n’hésite pas à donner des conseils, stimuler la créativité, suggérer par exemple une vidéo de ceux qui vous entourent, se saisir d’une situation anxiogène qu’on n’a pas choisie pour s’enrichir par l’empathie. Empathie et créativité, c’est le plus qu’on pourra tirer de cette expérience inédite. Je crois qu’après le Coronavirus, un certain nombre d’entre nous seront enrichis d’une expérience qui ouvre à davantage d’humanité.” Le confinement est particulièrement nocif pour ceux qui ne savent pas vivre l’ennui. Il accentue souvent les angoisses et les phobies en renforçant une impression de vide, venant alourdir le malaise de ceux qui en souffraient déjà. Beaucoup de patients expriment la peur de voir partir un être cher. Mais pour d’autres, et notamment pour certains enfants, le confinement peut se vivre de façon positive parce qu’il génère un sentiment de sécurité. On se retrouve, on crée des choses ensemble, des gestes et des attentions inhabituelles peuvent se manifester….au moins pour dans les premiers jours. Qu’ils soient psychiatres, psychologues, éducateurs, accompagnants, tous annoncent des tensions plus fortes dans la période qui vient. Ce que n’ignore pas le gouvernement dont les annonces sur la durée du confinement ont été progressive et savamment dosées
L’ÉCOLE A LA MAISON, UNE ÉPREUVE
Dans un premier temps c’est un cocon, on aménage les choses en famille, on se retrouve, mais progressivement les tensions s’exacerbent.
L’école assumée par les parents est source de tension terribles parce qu’ils ne peuvent pas se substituer aux professeurs. “Je le dis à mes patients, ajoute Thierry Delcourt, l’école elle se fait tant bien que mal, c’est anecdotique, ça s’ajustera petit à petit. Le principal c’est de s’ouvrir à une autre dimension de la vie, de jouer. Nous vivons dans une société qui lui donne une importance démesurée en oubliant de privilégier le relationnel.” Le confinement ravive par ailleurs des tensions extrêmes dans les fratries. L’espace restreint favorise une anxiété qui peut se manifester par les coups, comme on le voit dans les prisons, avec une grande violence. Beaucoup de couples, enfin, pourraient ne pas survivre à cette cohabitation sans échappatoire. Thierry Delcourt dit avoir reçu deux annonces fermes de divorces en 15 jours de la part de patientes en pleurs. “Ce moment révèle des choses tapies, c’est certain.” Et il alourdit au passage la fameuse charge mentale des femmes qui continuent à assumer l’essentiel de l’intendance, le suivi du foyer et le télétravail parfois.
LE HUIS CLOS ET LES COUPS
Le huis clos peut devenir redoutable. Le Procureur de la République Matthieu Bourrette remarque qu’il a fait apparaître des violences au sein de couples en cours de séparation mais contraints de continuer à vivre ensemble sans pouvoir se supporter. Le confinement isole davantage encore les victimes de violences familiales et plus particulièrement les femmes battues. Il exclut par ailleurs toute possibilité de dialogue qu’elles pourraient avoir avec une association d’aide aux victimes en temps normal. Raison pour laquelle le Parquet de Reims a souhaité que les plaintes enregistrées à la suite d’un signalement ou d’un constat des forces de l’ordre, soit systématiquement scannées aux associations compétentes. L’attention portée à ce problème dans la Marne a sans doute permis jusqu’ici de contenir l’explosion de ces violences conjugales, alors qu’elles auraient progressé de 32% sur l’ensemble du territoire français depuis le début du confinement. Le 114, jusqu’ici affecté aux personnes sourdes, est désormais à la disposition des femmes battues pour de donner l’alerte par un simple SMS. Enfin, un dispositif d’accompagnement a été mis en place dans les pharmacies et les grandes surfaces dans toute la France. Il devrait permettre aux femmes victimes de se signaler rapidement quand elles ont l’opportunité de quitter leur domicile.
DES SOIGNANTS DÉVASTÉS
Le dévouement des soignants, leur courage force le respect de toute la population. Ils commencent à craquer, on le voit dans les reportages, mais il reste difficile d’évaluer leur abnégation pour qui n’a pas vécu ce qu’ils vivent. Les psychiatres qui les observent annoncent dès à présent des situations traumatiques très graves. Aucun d’entre eux n’est préparé à ça. Les jeunes internes, les infirmiers et tous les personnels des hôpitaux et des EHPAD ne seront pas tirés d’affaire à la sortie du confinement. L’”angoisse du rebond”, bien connue des thérapeutes, aura des effets terribles -parfois jusqu’au suicide- si on n’agit pas dès à présent. C’est pourquoi les psychiatres libéraux se mobilisent aujourd’hui dans toute la France (ils sont une vingtaine dans la Marne) avec la mise en place d’un planning de télé consultations gratuites à distance. “Ces praticiens bénévoles sauront écouter, dit Thierry Delcourt, prescrire des traitements et des arrêts de travail que les hôpitaux le veuillent ou non. Car tous ceux qui sont en première ligne vont être confrontés à une vague extrêmement forte de mise en danger et ils auront besoin de soins urgents pour éviter des drames.”