En astiquant sa voiture pendant plus 2 heures après la disparition de Maëlys, Nordahl Lelandais nous a fait reculer de 35 ans dans les annales du crime : le tueur en série Pierre Chanal savait lui aussi se montrer particulièrement maniaque dans l’entretien du combi Volkswagen où il faisait passer ses victimes pour les violer, avant de les supprimer. Comme Lelandais l’adjudant chef a su laver, frotter, aspirer avec tant de soins qu’on n’a pratiquement retrouvé aucun indice dans sa camionnette.
Les rares scellés dont on a pu disposer dans la série des 8 disparitions imputées à Chanal n’ont pu être exploités que des années plus tard, quand ils n’ont pas été perdus, grâce aux progrès de l’identification des empreintes génétiques. De même a-t-on pu trouver une trace infime du sang de Maëlys dans le coffre de l’Audi de Lelandais. Jusque là il a réfuté pendant 6 mois et avec beaucoup de sang froid tout ce qui faisait de lui un suspect : les images vidéos, la chronologie de ses déplacements, les traces de l’ADN de la fillette dans la voiture, le bornage de son portable … Lelandais a fini par avouer ce qu’il ne pouvait plus nier, et rien de plus. Tant que le corps de Maëlys n’aura pas livré tous ses secret à L’institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie Nationale, l’ancien militaire maintiendra sans doute qu’il l’a tuée par accident.
DES SECRETS BIEN GARDÉS
Et si Chanal a reconnu le seul viol d’un jeune hongrois, c’est qu’il a été arrêté en flagrant délit, ou presque. Les déclarations de cet auto-stoppeur n’ont guère laissé de doute sur l’issue qu’aurait eue la terrible nuit qu’il venait de vivre avec Pierre Chanal. Il était persuadé qu’il allait être exécuté quand les gendarmes de Mâcon l’ont découvert , à la faveur d’un simple contrôle de routine, enchaîné sur le lit du combi. Mais son tortionnaire n’a jamais craqué, affirmant qu’après ces 20 heures de jeux sexuels musclés et consentis, il allait tranquillement se séparer de son passager là où il l’avait embarqué, à l’entrée de l’A6, pour qu’il continue son chemin. C’était le 9 Août 88. De ce jour, Chanal est devenu le suspect numéro un dans l’affaire des 8 disparus de Mourmelon. Le premier de ces très jeunes gens s’était évaporé huit années plus tôt dans le triangle maudit des camps militaires de la Marne. La plupart d’entre eux étaient des appelés, 4 sous les ordres de l’adjudant chef Chanal au 4ème Régiment de Dragon de Mourmelon. Aux familles qui se désespéraient de les avoir perdus, le ministère des armées répondait qu’ils étaient des déserteurs. Il aura fallu 20 ans pour que Chanal soit renvoyé devant les Assises mais seulement pour les 3 derniers des disparus. Le faisceau d’éléments à charge était plus que troublant pour les autres. Mais l’accusation n’était pas assez étayée, pour qu’il ait à en rendre compte devant des jurés. Qu’importe, puisqu’il n’a jamais été jugé. Il s’est suicidé, comme il l’avait promis*, aux premières heures de son procès. L’adjudant chef exemplaire ne supportait pas d’être un pervers sexuel. Il a d’ailleurs fait plusieurs tentatives de suicides ou grèves de la faim quand on l’en accusait.
DÉTENUS SOUS HAUTE SURVEILLANCE
Lelandais ne supporte pas davantage d’être le meurtrier de Maëlys. Après ses premiers aveux l’ancien maître chien a dû être hospitalisé, par précaution, dans L’Unité Hospitalière Spécialement Aménagée (UHSA) du Vinatier, surveillé de très près pour parer à toute tentative de suicide de sa part. Le fiasco du suicide de Chanal, qu’on pensait être le détenu le plus surveillé de France, est évidemment dans la mémoire de tous ceux qui l’ont approché et en particulier du Procureur de la République de Grenoble, Jean-Yves Coquillat en charge du dossier Lelandais. Il était juge d’instruction à Mâcon quand l’adjudant chef a été arrêté pour le viol de Palasz Falvay. Et sans doute est-il persuadé aujourd’hui que le meurtrier de Maëlys a beaucoup d’autres secrets à révéler. Mais pas plus que l’adjudant Chanal, le caporal Lelandais n’assume son lourd passé. Et si l’amour et la confiance aveugle des parents de Lelandais ressemblent tellement à la dévotion de la soeur de Chanal, qu’il appelait tendrement sa “chère Mone”, c’est qu’on est face à des personnalités lisses, en apparence, et pourtant capables de dérapages inquiétants. Les deux hommes sont passés par les camps militaires de la Marne et ils se sont signalés tous les deux par des entorses à la discipline militaire assez révélatrices : Chanal n’a pas pu s’empêcher de tirer à balle réelle pendant des exercices impliquant ses subalternes, ce qui lui a valu d’être muté du Valdahon à Mourmelon. Lelandais, qui abusait des stupéfiants, a été réformé pour des troubles psychologiques après avoir mis le feu à sa chambre.
UN TRAVAIL DE LIMIER
Entre la première des 8 disparitions du “Triangle maudit” de Mourmelon en 1980 et le procès de Pierre Chanal, aussitôt interrompu par son suicide, il s’est écoulé 23 ans dans l’indifférence quasi totale de la “grande muette”. L’arrivée du capitaine Vaillant aux commandes de la Section de Recherche de la Gendarmerie de Reims en Août 1985 a changé la donne. Le patron de la SR balaye enfin la thèse des désertions, et face à la détresse des familles, il demande à ses hommes de s’impliquer comme si les disparus étaient leurs propres enfants. Le travail alors très novateur de ses équipes a redonné l’espoir aux familles parce que les déplacements, les activités de Chanal ont été suivies, comme on ne l’avait jamais fait jusqu’alors et l’enquête a porté ses fruits, mais Chanal est resté le plus fort. Pour échapper à son procès il est parvenu à trancher son artère fémorale avec la lame de rasoir qu’il avait cachée sous son appareil dentaire. On a pu croire alors que le dossier d’un des plus grands échec judiciaire de notre histoire se refermait définitivement. Mais en exhumant 5 mois plus tard deux autres disparitions d’appelés, bien antérieures à celles de Mourmelon, deux avocats rémois, Vincent Durtette et Gérard Chemla, ont révélé l’inimaginable loupé. Michel Gianini et Aldo Tacchini étaient en effet sous les ordres de Pierre Chanal au Valdahon quand l’armée en a fait des déserteurs en 1975 et 1978. Mais personnes ne les a jamais revus, et aucun lien n’a été fait entre ces disparitions plus que suspectes et celles du triangle maudit à partir de 1979. Ce rapprochement aurait évidemment permis d’interrompre la carrière d’un redoutable tueur en série.
ERREURS D’HIER ET D’AUJOURD’HUI
Avant même ses premiers aveux sur la mort “accidentelle” de Maëlys, Lelandais a été mis en examen pour l’assassinat d’Arthur Noyer, caporal au 13ème BCA. Le jeune homme de 23 ans avait disparu après une soirée à Chambéry en Avril dernier. Une information judiciaire a par ailleurs tout récemment été ouverte sur le cas de Malik Boutvillain, disparu en 2012 dans des circonstances inexpliquées à Echirolles et le Parquet de Grenoble indique qu’il s’intéresse à 4 autres dossiers qui avaient été classés sans suite. Selon Bernard Valezy, qui préside l’association ARPD, Assistance et Recherche de Personnes Disparues, une vingtaine de disparition pourraient légitimement prétendre à un nouvel examen. Des femmes aussi bien que des hommes puisqu’on sait qu’il fréquentait régulièrement des clubs de rencontres sur internet. Un pool de 6 gendarmes est exclusivement chargé de reconstituer le parcours de Lelandais depuis 2006 au sein de la cellule Ariane spécialement mise en place.
Les enquêteurs et la police scientifique ont des moyens que Joël Vaillant n’avait pas: la géolocalisation des portables, les caméras de surveillances, et des analyses ADN qui n’en étaient qu’à leur balbutiement quand Chanal sévissait. Ils sont mieux formés aux techniques d’interrogatoire, ils disposent aujourd’hui de logiciel d’analyse criminelle qui n’existaient pas alors. L’instruction de l’affaire Lelandais bénéficie de la force de frappe de 3 magistrats à Grenoble et Chambéry, celle de Mourmelon en a vu défiler 7, plus ou moins impliqués, en 23 ans. Mais tout n’est pas parfait. Aujourd’hui encore quand une disparition est signalée on a tendance à…espérer le retour du disparu. Alors qu’il faudrait aussitôt collecter et geler toutes les données : vidéo, comptes bancaires, téléphonie etc…C’est ce qui a été fait pour Arthur Noyer comme le rappelle l’avocat de ses parents, Bernard Boulloud. Et c’est ce qui a permis la mise en examen de Lelandais dans cette affaire puisqu’on a pu établir des rapprochements plus que troublants entre les déplacements des deux hommes. Mais la démarche est encore trop rare. C’est la raison pour laquelle l’association ARPD de Bernard Valésy préconise, en 33 propositions, le déclenchement immédiat et systématique d’une procédure administrative en cas de disparition afin que toutes les données utiles à une enquête ultérieure soient systématiquement gelées et conservées. Le texte de l’ARDP a été déposé le 30 Janvier dernier au Ministère de la Justice, sans réponse pour l’instant.Un peu plus tôt , à la faveur de l’Audience Solennelle du TGI de Grenoble, le Procureur Jean Yves Coquillat a déploré l’absence de fichiers recensant les morts violentes et les disparitions qui permettraient de mieux traquer les tueurs en série. Ce qui ressemble beaucoup à une proposition que le Colonel Vaillant avait formulé en 1997.
*dans l’unique interview accordée à trois journalistes : Isabelle Horlans, Renaud Vincent et l’auteure de ces lignes
*Gérard Chemla auteur de La justice impossible avec Vincent Durtette 2004