Le Pré aux Fleurs n’a rien d’une maison de retraite. Cet éco-hameau de 6 logements sociaux (bientôt 10) est né de la très longue réflexion de deux couples. Pendant des années, ils ont cherché le moyen de devenir les maîtres de leur grand âge. Ils se sont finalement posés à Maubert-Fontaine, dans les Ardennes, où ils ont bien l’intention de vivre jusqu’à la fin de leurs jours. Tout n’est pas parfait, ils insistent. Mais à l’heure où les EPAHD peuvent être synonymes de maltraitance, cette alternative mérite le détour.
L’histoire est belle parce qu’elle s’est avant tout construite autour d’une volonté de partager pour embellir la vie. Anne Marie et Jean ont aujourd’hui 82 et 85 ans. Ils fêteront bientôt leur 60 ans de mariage. Ils ont en commun d’être tournés vers les autres. Avant d’emménager au Pré aux Fleurs, ils étaient notamment famille d’accueil pour les enfants placés. Quand la charge de leur grande maison est devenue trop lourde, il y a une douzaine d’années, ils ont engagé une réflexion sur leur vieillesse. Ils ont proposé aux membres de leur famille de s’y associer en leur écrivant une lettre. Puis le courrier a été adressé à leur relations, au sein de leur paroisse ou dans les multiples associations dont ils font partie.
INVENTER UNE VIEILLESSE PAISIBLE
Marie Cécile était alors animatrice pastorale près de Charleville-Mézières où elle vivait avec son mari. Jean Paul s’était intéressé aux conditions de vie des retraités dans le cadre de son engagement syndical à la CFDT, quand il était éducateur. Pour eux aussi, le grand âge était un sujet. Leur vie au Pré aux Fleurs est aujourd’hui assez proche de ce qu’ils ont imaginé. Ce travail aura duré…6 années. Les deux couples, aujourd’hui amis, insistent beaucoup sur la nécessité de cette lente progression. Ils ont participé à des dizaines de réunions. « On le répète tout le temps, dit Jean Paul. Partez dans la réflexion de ce que vous voulez vivre avant la construction. » Le projet a été très difficile à mettre en place.
CE N’EST PAS SI SIMPLE, IL FAUT LE DIRE
«C’était même épuisant se souvient Anne Marie. » Il a fallu travailler et retravailler patiemment au fil du temps. Ils ont bénéficié de l’appui des fondateurs du Chênelet. Cette entreprise d’insertion par le travail, dans le nord de la France, avait déjà créé une communauté de vie autour d’un prêtre. « Ce qui rejoignait un peu mon idée de départ d’un béguinage, commente Anne Marie. une telle structure ne peut fonctionner qu’avec une volonté minimum de partage.» Dans la réflexion des Ardennais, l’achat d’un terrain a vite été écarté, tout comme l’éventualité d’une copropriété. Parce que cette solution revenait à exclure ceux qui n’avaient pas les moyens d’investir. Et la question de la transmission aux enfants aurait posé un autre problème de taille. Le Chênelet a donc assumé le montage financier de l’opération.
UN CONCEPT D’ÉCOLOGIE SOLIDAIRE
L’écologie solidaire est au cœur du hameau. Elle suppose un choix exigeant des matériaux. Les briques en terre crue, les toits végétalisés, le bois garantissent une excellente isolation. Le Chênelet a construit l’ossature des bâtiments, les entreprises locales se sont chargées du reste. Les 6 appartements sociaux du Pré aux Fleurs sont donc proposés à la location. 3 couples et 3 personnes seules en bénéficient actuellement. Ce sont des logements sociaux très confortables, basés sur l’exigence d’un confort accessible à tous. Les loyers sont majorés pour ceux qui dépassent un certain plafond de ressources. «C’est une façon de partager, dit Marie Cécile, c’est normal.» Le projet a évolué au fil des années, mais l’idée fondamentale reste bien d’embellir la vie… jusqu’à la mort.
FINIR SES JOURS ICI
« Il s’agit vraiment de proposer une alternative à l’EHPAD, explique Jean Paul. » Sauf maladie de type Alzheimer ou démence, il n’y a pas d’obstacle à finir ses jours ici. L’hospitalisation à domicile a été intégrée dans la conception des appartements auxquels on accède de plain pied. La petite route qui relie les maisons est un facteur de convivialité. Elle favorise les échanges, comme les terrasses mitoyennes devant chaque appartement. Cette petite communauté n’est pas à l’abri de problèmes relationnels. «Mais nous avons l’habitude de les gérer, dit Marie-Cécile, et finalement on y arrive.» Une maison partagée, en contrebas, permet de recevoir les amis ou la familles. On peut y organiser des manifestations de toute sorte, ouvertes à tous.
RIEN N’EST ACQUIS
Mais cette structure commune à un coût. Tous les locataires ne peuvent pas l’assumer. C’est d’autant plus lourd pour les autres. Le Pré aux Fleurs doit prochainement s’agrandir de 4 nouveaux logements. « Les gens qui arrivent n’ont pas participé à notre réflexion initiale, s’inquiète Jean. Personne ne sait comment les nouveaux arrivants vont se comporter. » La charte posée au départ est basée sur la notion de partage, mais elle ne constitue qu’une contrainte morale. Elle est suggérée, pas imposée. Les initiateurs de cette belle réalisation s’interrogent très légitimement sur son avenir. Après des années de gestation, le Pré-aux-Fleurs reste un projet en devenir.