AU BONHEUR DE LA VENDANGE ET DU CHAMPAGNE

Elle cultive ses vignes à Crouttes-sur-Marne. Elle élabore son champagne, et c’est un  bonheur qu’elle prend toujours le temps de raconter, même pendant les vendanges.

Nathalie De Coninck attend ses cueilleurs. Ils sont une quinzaine qui ne vont pas tarder à rentrer pour se mettre à table. Et c’est elle qui est aux fourneaux  pour ne rien laisser au hasard. Les choux à la crème seront parfaits même s’il a fallu s’y reprendre à deux fois pour réussir la crème pâtissière.  « Je suis tellement exigeante avec eux. La moindre des choses, c’est de les soigner. Si je leur faisais n’importe quoi à manger, ils mettraient n’importe quoi dans leurs paniers« . Parce que l’exigence de qualité s’impose comme une charte dans cette entreprise très familiale. Avec son mari Nathalie exploite les terres que son père lui a transmises. Quatre mains pour trois hectares de vignes, là bas  tout au bout de l’appellation champagne à l’extrême ouest du vignoble de la Vallée de la Marne. 

Et comme pour remercier le ciel de cette chance d’en être, les 10 vignerons de Crouttes-sur-Marne  ont choisi de valoriser eux même leur raisin pour le transformer en vin. Deux d’entre eux ont opté pour la biodynamie, dont Françoise Bedel qui en fut une pionnière avec le succès que l’on sait. Et comme « on apprend  beaucoup des autres dans ce métier d’observation » Nathalie aime à lui rendre hommage. « On est tous récoltants manipulants ici, on fait tout nous même et ça tire vers le haut. Deux vignerons sont certifiés HVE, Haute Valeur Environnementale. Nous, nous sommes en bio-contrôle. Nous ne somme que deux sur l’exploitation et nous ne pourrions pas faire face aux exigences de la biodynamie. Mais nous essayons d’être responsables. La course au rendement pour laisser des raisins par terre à la vendange, ce n’est pas notre truc. Mon père était déja comme ça. Il traitait le moins possible. »

Ici on aère donc les grappes pour les empêcher de pourrir plutôt que d’avoir à les traiter parce qu’elles prolifèrent dans une vigne gorgée d’engrais. On traite aux huiles essentielles, on se passe du bisulfite au moment du dégorgement , on utilise  les bourbes de chardonnay  pour décolorer les vins « tâchés », plutôt que le noir végétal parce qu’il est agressif et  qu’il détruit les arômes. Et les raisins sont de plus en plus sains. Cette année le rendement a été fixé à 10 800 kilos à l’hectare comme en 2017. Ils seront injectés dans la production de champagne sur l’ensemble de l’appellation pour répondre à la  demande d’un marché qui s’annonce stable ou en légère augmentation, autour de 300 millions de bouteilles. Les vignes ont donné beaucoup plus, entre 13 et 17 000 kilos  d’une qualité exceptionnelle. Ce qui permettra de reconstituer les réserves de vin qui seront utilisées plus tard quand la nature  sera moins généreuse. L’avantage  c’est qu’on n’aura pas à trier les grappes. Trier, trier,trier, parfois  jusqu’au grain comme Nathalie l’exige de ses cueilleurs si la récolte est moins belle. Elle les harcèle au point qu’ils en ont fait une chanson pour s’en moquer.  Mais l’équipe est soudée et fidèle. Les champagnes Leclère-Torrens, du nom des deux parents de la jeune femme, ne connaissent pas les problèmes de recrutement dont d’autres peuvent se plaindre depuis quelques années. Le bouche à oreille fonctionne chez les vendangeurs comme chez les amateurs de champagne. Nathalie et Romaric commercialisent chaque année vingt mille flacons, à l’étranger parfois, mais surtout en France. Des cuvées dont ils sont fiers parce qu’ils sont le reflet de leur convictions. Le domaine compte une trentaine de parcelles dont les jus sont assemblés, ou pas. La palette est très variée, et c’est  la raisin qui dicte sa loi. L’observation,  la curiosité, le respect font vivre ce petit laboratoire dont sort tous les ans une cuvée dite « éphémère » qui ne ressemble à aucune autre. Les deux enfants du couple reviendront dans les vignes, c’est acquis. Mais pas question de se relâcher d’ici là . Passé le coup de feu de la vendange il faudra sillonner les routes, d’une foire à l’autre en Novembre et Décembre.

La « glane » (c’est ainsi qu’on nomme le dernier repas des vendangeurs à Crouttes-sur-Marne) a eu lieu dans les vignes. Un barbecue aux sarments pour se quitter dans la joie, peut-être même sans avoir à chanter la chanson de Nathalie cette fois, tant la récolte a été belle et facile. Et pendant ce temps, dans la cuverie, les vapeurs des premières fermentations promettent le meilleur. 

Monique Derrien

Reporter puis grand reporter à Radio France de 1987 à 2016. Prix du Grand Reportage de Radio France. Chronique judiciaire régulière et assidue des petits et grands procés : Chanal, Heaulme, Fourniret. Attention soutenue sur les audiences et faits de société et sur la politique, un peu. Parce qu'ils disent presque tout du monde qui nous entoure. Intérêt marqué pour la culture, la gastronomie et le champagne. Celui qui se boit et celui qui a su si bien se vendre jusqu'ici.

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