Objectif « net 0 carbone »… avec ou sans herbicides ? A la faveur de l’assemblée générale annuelle de l’Association Viticole Champenoise, plus d’un millier de vignerons est venu entendre les prescriptions d’une institution qui a vu le jour après la crise du phylloxera, en 1897. Et pendant trois heures, on leur a tout expliqué, ou presque.
Dans un contexte économique incroyablement favorable au champagne, l’AVC a fait la démonstration de sa compétence. Les pratiques culturales des champenois s’appuient sur ses recherches. La vénérable association oriente la stratégie collective du vignoble. Ele est incontestablement une des clés du succès du roi des vins. Durant les trois bonnes heures d’un show réglé au millimètre, l’Association Viticole Champenoise a d’abord fait preuve d’une grande maîtrise de sa communication.
LA PROSPÉRITÉ SUR GRAND ÉCRAN
Après une vendange exceptionnelle, le marché du champagne s’envole vers de nouveaux records. Maxime Toubart, pour le syndicat des vignerons, David Chatillon pour le négoce, sont les coprésidents du Comité Champagne. En ouverture de l’assemblée, ils ont affirmé leur attachement au développement durable de la filière, jusqu’à cet engagement ferme d’atteindre le «net 0 carbone » d’ici 2050. « Nous avons de beaux jours et de belles années devant nous si nous savons garder la tête froide, poursuivre nos efforts, jouer collectif et rester unis dit Maxime Toubart.» Et c’est bien une démonstration collective d’unité qui s’en est suivie ce 8 Décembre 2020. À la tribune et sur l’écran géant du Millésium d’Epernay, les vignerons, les ingénieurs et chercheurs de l’AVC sont évidemment revenus sur cette année bénie des dieux, avant de livrer les résultats de leur expérience et de leurs travaux.
DE LA FLAVESCENCE DORÉE À LA COULEUR DES CAISSES DE VENDANGE
Le réchauffement climatique fait basculer la Champagne dans les régions à climat tempéré . Il contraint les vignerons à évoluer. Faut-il planter des arbres sur les parcelles ? On leur préfèrera des haies, suffisamment éloignées des pieds de vignes. Certains ont été tentés d’installer des ruches sur leurs terres pour favoriser la biodiversité, mais on obtient tout le contraire. La présence des abeilles éloigne d’autres insectes et papillons très utiles. Pour réduire l’impact des fortes chaleurs sur les raisins il faut vendanger plus tôt dans la journée , utiliser des caisses de couleur claire. Ainsi s’enchaînent les avis et les conseils experts, pondérés par l’expérience du terrain des vignerons. Mais quand vient le moment d’alerter ce public de professionnels sur la flavescence dorée, le ton devient grave, et même anxiogène. Le vigneron est exhorté à surveiller ses vignes de près, parce qu’il n’y aura d’autre choix que d’arracher, tout arracher, même les pieds qui ne sont pas atteints, et même ceux du voisin. C’est une obligation. L’AVC ratisse très large, sur presque tous les sujets.
LE BIO ET LES HERBICIDES
Pourtant, l’évolution de la filière bio en Champagne, sa faisabilité, ont fait l’objet…d’un silence assourdissant. En dépit des 3000 hectares (6% de l’appellation) désormais certifiées bio. On était aussi en droit d’attendre une réponse de Maxime Toubart à cette tribune tout juste publiée dans Le Monde par un collectif de viticulteur, pour réclamer une stratégie ferme contre les herbicides. Lire ici L’initiative en revient à l’association des Champagnes Biologiques présidée par Jérome Bourgeois. Le texte est aujourd’hui signé par 165 vignerons, coopérateurs et négoces, bio, HVE, VDC, conventionnels qui ont choisi de ne plus utiliser d’herbicides. Ils demandent que l’interdiction des herbicides soit inscrite dans la charte de l’AOC. Ils pointent le relâchement du Comité Champagne sur cet enjeu majeur pour le champagne. Et malgré l’engagement qui a été pris voilà 4 ans de supprimer totalement les herbicides à l’horizon 2025. À l’AG de l’Assemblée Viticole Champenoise il aura fallu attendre l’heure du banquet, et des premières coupes de champagne, pour que le patron du SGV promette des directives plus strictes pour la disparition des herbicides en Champagne. Jérôme Bourgeois se dit confiant sur une prochaine concertation.
Et les mots de Maxime Toubart, en ouverture de cette AG , prendront ainsi tout leur sens : «Nous savons que nous ne pourrons réussir que si nous avançons ensemble et nous ne voulons pas, comme le vivent beaucoup d’autres appellations, échouer séparément.»