Il y a deux ans jour pour jour, dans le centre de Reims les badauds ont vécu des scènes de violence inouïes entre deux bandes des quartiers Orgeval et Croix rouge. Un jeune homme alors âgé de 16 ans en garde des séquelles neurologiques gravissimes et sans doute irréversibles. Il était là par hasard. Deux autres garçons ont été légèrement blessés. La justice est passée. Mais l’extrême violence de ces affrontements sans mobile ne s’explique toujours pas.
Quatre jeunes majeurs viennent d’être condamnés dans ce dossier par le Tribunal Correctionnel de Reims. A l’audience, les protagonistes du déchaînement du 6 février 2020 se sont révélés incapables d’en donner les raisons. Leurs peines vont de 6 mois à un an de prison ferme. Elles sont couvertes par les détentions provisoires déjà effectuées. Trois mineurs sont par ailleurs impliqués dans ce dossier. Ils doivent être jugés très prochainement. Mais les parties en présence annoncent que ce second procès à huis clos n’expliquera pas davantage les raisons de ces affrontements aussi désordonnés que violents.
UNE JOUTE PROGRAMMÉE
On a bien compris, par contre, que les meneurs des deux quartiers concernés, Croix Rouge et Orgeval, s’étaient donné rendez-vous autour de 18 heures pour s’affronter à main nue, d’homme à homme, entre le Mac Do et le théâtre. Cette place du centre de Reims devenait ainsi la plate forme stratégique de la ville. Mais l’explication musclée, supposée répondre à un code d’honneur, a vite dégénéré. Ceux d’Orgeval étaient une petite vingtaine. Ils étaient armés de bâtons, de marteau ou de hachoirs de boucher souvent cachés sous leurs vêtements. Ils sont arrivés par deux axes différents pour prendre ceux de Croix Rouge en tenaille à leur descente du tram. Le pugilat qui a suivi a fait 3 blessés dont deux légers. Le troisième, âgé de 16 ans, très gravement atteint, a pris les coups les plus violents. Diego Diallo, son avocat a décrit à l’audience des séquelles très importantes non encore consolidées. Le jeune homme avait été laissé pour mort dans l’entrée du magasin Zara où il s’était réfugié. Celui qui a porté les coups n’a pas été identifié.
SANS SE CACHER
La plupart des jeunes interpellés n’ont pas de casier judiciaire. Ils n’appartiennent pas au milieu des dealers qui règlent leur compte à coup de feu.Et ils n’étaient pas impliqués dans les évènements très inquiétants qui avaient précédé ce 6 février : des tirs de de balle à Croix Rouge, suivis de représailles à Orgeval et en ville. Mais ils avaient besoin de revendiquer leur appartenance à un territoire, autrement dit à leur quartier. C’est l’analyse qu’en faisait le Procureur de la République de Reims peu après les faits. « Ils sont nécessairement en opposition avec ceux d’un autre territoire,disait Matthieu Bourrette, sans cause particulière. Ce qui les motive c’est l’opposition de quartier, mais les raisons de cette opposition sont inconnues. » Les faits peuvent ainsi être commis en journée, en centre ville en présence de nombreux témoins, sans cagoule, devant les caméras de surveillance.
JE NE ME RECONNAISSAIS PAS
Ils utilisent les réseaux sociaux, sans se préoccuper de leur traçabilité. « Cette logique irrationnelle ajoutait le Procureur, peut conduire à la commission de faits très graves sans réelle construction délinquante. » . « Quand on est plusieurs à taper sur la tête de quelqu’un c’est pour le tuer” a souligné Sandrine Delorme à l’audience, pour le Ministère Public. Devant les enquêteurs, un vigile du magasin Zara avait aussi mentionné la violence des coups portés à un garçon au sol « comme si on écrasait la tête d’un serpent. » « Je ne voulais pas en arriver là, c’est l’effet de groupe » a expliqué un des prévenus devant ses juges. « Je ne me reconnais pas, ca me faisait mal » a dit un autre avant de s’excuser. Les prévenus ont le profil de ces jeunes décrits par le sociologue Mohamed Marwan. Arthur De la Brosse, l’avocat d’un des jeunes récemment jugés, a mentionné les travaux de ce chercheur du CNRS à l’audience.
L’EFFET DE QUARTIER
“Ils ne se réalisent ni dans le sport, ni dans les études, ni dans le trafic de stupéfiants. Le seul moyen d’être reconnu, c’est de se mesurer physiquement à ceux des autres quartiers. Mais ceux que vous jugez sont tous inconnus de la justice.» L’appartenance à leur quartier, jusqu’à l’affrontement, est la seule forme de reconnaissance à laquelle ils peuvent prétendre. Ce qui expose à de sérieux dérapages. Un an après les agressions qui viennent d’être jugées, ce besoin de s’engager pour son clan à connu des dérives dramatiques. On se souvient que Christian Lantenois, photographe à l’Union, a été sauvagement frappé parce qu’il venait couvrir une joute annoncée entre bandes rivales dans le quartier Croix Rouge. Son agresseur, un délinquant aguérri, a été mis en examen pour une tentative de meurtre passible des Assises.