PRÊTRES PÉDOPHILES À REIMS : LA PAROLE DES VICTIMES SE LIBÈRE APRÈS DES DÉCENNIES

Georges* vient de prendre sa retraite. Il a 61 ans. Récemment, à l’occasion d’un repas de famille, la conversation a porté sur ces abus sexuels dont on parle plus souvent aujourd’hui qu’autrefois. Et c’est là  que le grand-père s’est effondré. Pour la première fois il a évoqué les sévices que lui a infligé l’abbé Prot quand il avait 7 ou 8 ans. Un peu plus tard, un précédent article publié ICI, lui a permis de prendre contact avec d’autres victimes du prêtre  rémois. Ces  hommes racontent les mêmes ravages. Georges témoigne à  son tour, pour que les autres victimes  se manifestent,  et que la vérité soit dite. Tous sont convaincus qu’elle seule pourra les soulager, apaiser leur douleur.  

Chef d’entreprise à 18 ans, Georges a mené une carrière professionnelle exemplaire. Sans doute s’immergeait-il un peu trop dans le travail, mais rien d’anormal. Aujourd’hui grand-père, le retraité ne se départit presque jamais d’un sourire qui a toute l’apparence de la  sérénité. Les antidépresseurs y sont peut-être pour quelque chose. Il en prend depuis qu’il a 30 ans…depuis qu’il a décidé d’emmener son épouse et ses deux enfants à la montagne. Les sports d’hiver, il les avait découverts pour sa part, dans les Vosges et dans le Cantal,  quand il était scolarisé à  la Maitrise de la Cathédrale.

SOUVENIRS DES VOSGES

A Clefcy, près de Gérardmer, les vacances de neige étaient organisées par l’Associaton du Sourire de Reims , sous le contrôle assidu de l’abbé Prot. Une bonne vingtaine d’années plus tard, le premier retour vers la neige du jeune père de famille, a provoqué un choc abyssal pendant le voyage. « Je suis resté figé, dit Georges. Un trou noir, un vide. J’ai cru à une crise cardiaque». Le diagnostic du médecin est tout trouvé à l’époque : burn out lié au surmenage. Aujourd’hui le traitement est moins lourd qu’il ne l’a été, mais sans avoir jamais été interrompu. Car les causes de cet effondrement sont ailleurs. J’ai fait le lien avec la colo sur la route» dit Georges. La Colonie du Sourire de Reims à Clefcy, c’était aussi et surtout  un dortoir séparé de la chambre de l’abbé Prot par un simple rideau « blanc beige». L’image est trés précise dans les souvenirs du sexagénaire. Un soir, il en a vu ressortir son copain de 8 ans, tout gêné, le slip souillé. “On s’est moqué de lui. Il nous a répondu qu’il était malade et qu’il avait eu un suppositoire”. 

SEVICES SEXUELS ET CORPORELS

Le témoignage de  Benoit*, a précédé celui de Georges sur ce site. Lire ICI. Il décrit ce terrible traumatisme du « suppositoire», tel qu’il l’a subi lui même. Et tout comme lui, Georges  se souvient  des douches surveillées par l’abbé Prot en personne, de l’attention toute particulière qu’il portait au «petit robinet» de chacun, jusqu’à pratiquer un décalottage minutieux et obligatoire, alors qu’il prenait sa douche avec les enfants dans une totale nudité. Sa nudité était aussi de rigueur pendant ces bains du soir dans la fraicheur du torrent tout proche, car il fallait s’aguerrir. En témoignent les punitions sévères infligées par le prêtre à ces jeunes enfants pour la moindre bêtise. Ils étaient lâchés de nuit, en caleçon et pieds nus, en plein hiver, à 500 mètres de leur base. « Il fallait qu’on retrouve le chemin tout seuls raconte Georges. Les moniteurs ne pouvaient pas ignorer ces pratiques.» C’était une manière de soumettre les enfants à la toute puissance du prêtre, et personne n’y trouvait à redire. 

«ELLE EST PAS BELLE CETTE CHAPELLE ! »

A Reims, la Maîtrise de la Cathédrale était reliée à l’appartement de l’abbé Prot, rue Bruléee, juste au-dessus de l’école maternelle Saint-Pierre. La pédophilie du prêtre était pourtant connue. « C’était son jardin d’enfant ! commente Georges. Il y avait un porche et une petite entrée pour accéder à sa chambre. J’y suis allé au moins une fois. Je ne me souviens pas de ce qui s’est passé». Par contre, le rituel de la confession des élèves, dans la chapelle de la Maîtrise, reste à jamais gravée dans sa mémoire. « Elle est pas belle cette chapelle, insiste Georges, elle n’est vraiment pas belle ! »…et pour cause. L’abbé Prot y confessait  très régulièrement les enfants. Non pas dans l’isoloir, mais sur ses genoux. « On portait tous  l’uniforme, culotte courte. Et je me souviens de ses attouchements, sa voix douce, enveloppante, sa gentillesse. Pour moi c’était quelqu’un de parfait, au point que je lui ai demandé de célébrer mon mariage. Ce qu’il a fait quelques mois avant sa mort. Mais aujourd’hui, je ne peut plus rentrer dans une église sans être pris d’un malaise.»  

DANS UN CARCAN

Et il lui a fallu du temps avant  de comprendre pourquoi le très bon élève qu’il avait été à l’école Libergier, est brusquement devenu un cancre, juste à partir du moment où il a été scolarisé à  la Maitrise.  “Mes parents ne se sont pas posé de question. Ma famille, ma grand-mère surtout, était très catholique. On ne touchait pas à la religion. En entrant à la Maîtrise, on entrait dans un carcan : les obligations paroissiales, les chants, les cours de musique, les louveteaux, le catéchisme tous les jours. Impossible de s’en sortir.” À la mort de l’abbé Prot, en 1986, on a retrouvé chez lui d’innombrables photos d’enfants nus, parfois en gros plan.  «Ce qui veut dire qu’il a pu prendre  le temps de faire ces clichés, ils n’ont pas été pris à la hâte, comme on le ferait aujourd’hui au portable. ». Les photos auraient toutes été détruites. Et les victimes déplorent cette disparition de preuves.

Les photos on été retrouvées dans ce presbytère après la mort de l’Abbé Prot

 

QUE LA LUMIERE SOIT FAITE !

Pour tenter de se rétablir, elles ont besoin de reconstituer une histoire qu’elles ont voulu oublier pendant des décennies. Georges est aujourd’hui convaincu qu’il ne se souvient pas de tout.   «Moi j’ai fait mon chemin en enfouissant tout. Parce que quand on évoque ces épisodes, c’est trop dur. Ça perturbe trop ma vie.» Il sait que d’autres élèves ont vécu des épreuves qui les ont totalement détruits. Et le temps n’atténue pas le traumatisme, au contraire. Les victimes commencent à se manifester au sein du “Collectif des victimes de l’abbé Prot” crée par deux d’entre elles pour libérer la parole et retrouver la paix. Le lien vers le site est ICI. Tous attendent aujourd’hui que l’Archevêché de Reims les soutienne, notamment en donnant toutes les informations dont il dispose, dans une affaire très déplorable dont l’Eglise n’ignore pratiquement rien. Cette rétention d’information est vécue comme une seconde agression par ces hommes en quête de sérénité. 

*Prénom modifié

Monique Derrien

Reporter puis grand reporter à Radio France de 1987 à 2016. Prix du Grand Reportage de Radio France. Chronique judiciaire régulière et assidue des petits et grands procés : Chanal, Heaulme, Fourniret. Attention soutenue sur les audiences et faits de société et sur la politique, un peu. Parce qu'ils disent presque tout du monde qui nous entoure. Intérêt marqué pour la culture, la gastronomie et le champagne. Celui qui se boit et celui qui a su si bien se vendre jusqu'ici.

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