ATTENTAT DE CHARLIE HEBDO : LE CHAGRIN ET LE DEVOIR DU SOUS-PRÉFET DE REIMS

Michel Bernard est aujourd’hui écrivain à temps plein. Il était le sous-préfet de Reims quand les journalistes de Charlie Hebdo ont été abattus à la kalachnikov par les frères Kouachi le 7Janvier 2015. Cet attentat l’a très intimement touché parce que son ami Bernard Maris faisait partie des victimes. Quelques heures après le vibrant hommage qu’il lui rendait en Haute Garonne pour ses obsèques, le haut fonctionnaire a dû organiser l’inhumation de son assassin à Reims. Saïd Kouachi, le plus jeune des deux terroristes, y avait préparé le massacre de Charlie Hebdo dans l’appartement du quartier Croix Rouge où il vivait avec son épouse. Et  elle n’a pas voulu qu’il soit enterré ailleurs.

L’appel du Ministère de l’Intérieur l’informant  de la mort de son ami Bernard Maris, dans les heures qui ont suivi l’attentat du 7 Janvier 2015, est encore bien présent dans la mémoire de l’ancien sous-préfet de Reims. Les liens qui unissaient les deux hommes étaient connus de tous parce qu’ils racontent une belle histoire. 

UN DRAME ANNONCÉ

Bernard Maris était le gendre de Maurice Genevoix. Et le sous préfet de Reims, qui se passionnait déjà pour l’écriture, vouait une immense admiration à l’homme autant qu’à sa chronique infiniment sensible de la première guerre. En atteste le livre qu’il lui a consacré,  « Pour Genevoix »  publié en 2011  aux éditions de la Table Ronde. « Pour moi, Bernard Maris était le mari de Sylvie Genevoix disparue en 2012. Bernard Maris, quelqu’un d’absolument charmant, une personne exceptionnelle, un grand littéraire. Notre relation était liée à une des passions de ma vie, ma passion pour la mémoire de la grande guerre. » C’est donc au passeur de mémoire qu’avait été confiée la préface de « Ceux de 14 », un recueil des fameux récits de guerre du père de Sylvie, tout juste réédité chez Flammarion. « On était en pleine préparation du centenaire de la Grande Guerre. Apprendre que Bernard, le gendre de Maurice Genevoix, était tué par arme de guerre un siècle après le début de la grande guerre, c’était une sorte de signal assez étrange, un soubresaut de l’histoire qui ne m’a pas vraiment surpris. Je voyais l’événement venir depuis 2012, depuis l’assassinat en pleine rue des enfants juifs de Toulouse par Mohamed Merah. J’avais le sentiment qu’on était entré dans une nouvelle guerre déclarée. Cet anniversaire est un souvenir douloureux et en même temps agréable  parce que j’ai plaisir à entendre parler de Bernard. Mais je suis alarmé parce que dix ans après, rien n’a changé, l’islamisme continue à prospérer. 

UNE INERTIE DÉVASTATRICE

« Je me demande souvent si on ne parle pas beaucoup de Charlie Hebdo pour oublier la médiocrité de la réaction française à cet assassinat d’enfant en pleine rue à bout portant. La société n’a pas encore fait le chemin qui lui permettrait de prendre conscience de ce qui se passe depuis une vingtaine d’années. Après Toulouse, rien n’a été fait. L’islamisme nous a déclaré la guerre et nous ne faisons pas la guerre à l’islamisme. On veut conserver son  confort matériel moral et intellectuel. Tout le débat a porté, à l’époque, sur les modalités d’intervention de la police, mais rien sur les motivations de l’assassin. Cette réflexion a commencé timidement après l’assassinat  de Bernard et de ses amis  journalistes de Charlie Hebdo. On ne veut pas prendre le problème à bras le corps. Il faudrait interdire l’islamisme comme Manuel Valls l’avait proposé à l’époque. Interdire toute expression publique de l’islamisme, ce serait une façon de  mener le combat. Et on en a les moyens juridiques. »  A l’heure ou Saïd Kouachi assassinait des journalistes à Paris, révèle encore l’ex sous-prefet, son épouse, touchée par une maladie neurologique, était dans la salle d’attente du bureau d’aide sociale de la mairie, pour y demander une aide financière. Elle l’a obtenue en plus des soins gratuits qui lui étaient prodigués, insiste Michel Bernard, malgré ses liens avec la mouvance islamiste

DE FUNÉRAILLES EN FUNÉRAILLES 

Huit jours après l’attentat de Charlie Hebdo, les obsèques de Bernard Maris ont eu lieu dans une chapelle qui domine le village de Montgiscard, à 20 km de Toulouse. Michel Bernard, s’y est  évidemment adressé à son ami  : « Tu n’avais pas imaginé que tu mourrais ainsi, tué par une arme de guerre et des fanatiques qui haïssent ce que tu incarnais ». « Un moment très poétique », commente l’écrivain d’aujourd’hui, avant de se souvenir de cet autre coup de fil qui l’attendait à son retour à Reims. Cette fois c’est le Préfet de Région qui appelle le vendredi matin : Il faut gérer l’inhumation de Said Kouachi à Reims. Pierre Dartout sait  que le sous préfet est personnellement éprouvé par l’attentat. Il lui propose de le décharger de cette mission. Mais Michel Bernard assume. Le Maire Arnaud Robinet  ne voulait pas que le terroriste soit enterré dans sa ville, mais il n’a pas eu le choix : la loi ne pouvait pas être transgressée. Les imams de Reims n’ont pas voulu officier. Des religieux acceptant de procéder à l’inhumation dans le rite musulman sont trouvés dans le Nord. Une réunion est organisée l’après-midi à la sous-préfecture où ils arrivent en costume traditionnel.

DANS UNE TOTALE DISCRÉTION                                                   

Les imams ont dû rapidement répartir à Paris avec leur véhicule pour chercher le corps à la morgue. Elle fermait à 17 heures. Sans une dérogation accordée par la Préfecture de Police, l’inhumation aurait été reportée au lundi suivant. Le sous-préfet de Reims a exigé que tout se passe dans une totale discrétion, sans aucun public et de nuit pour éviter la presse. Ce qui a été le cas. Le cimetière était ceinturé par les forces de police. La directrice de cabinet a assisté à l’inhumation de bout en bout, constatant que les hommes étaient manifestement peu habitués à l’exercice et très mal équipés. Leurs pioches se sont avérées insuffisantes. Ils ont dû s’équiper de bêches en urgence pour cette opération très laborieuse. « J’ai quitté la sous préfecture de Reims une année plus tard,  conclut Michel Bernard,  et aucune intervention n’a été constatée sur les sépultures. Ce qui m’a étonné c’est qu’il ne se passe plus rien ensuite, aucune dégradation sur la tombe, rien. Une indifférence totale.C’est  pour moi le signe d’une très grande maturité de la société française : zéro représaille. C’est d’ailleurs ce qu’on constate depuis 30 ans. » 

Monique Derrien

Reporter puis grand reporter à Radio France de 1987 à 2016. Prix du Grand Reportage de Radio France. Chronique judiciaire régulière et assidue des petits et grands procés : Chanal, Heaulme, Fourniret. Attention soutenue sur les audiences et faits de société et sur la politique, un peu. Parce qu'ils disent presque tout du monde qui nous entoure. Intérêt marqué pour la culture, la gastronomie et le champagne. Celui qui se boit et celui qui a su si bien se vendre jusqu'ici.

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